Le roi Alain Ier, dit Alain le Grand, meurt en 907 et cette mort marque un tournant. La courte période des rois de Bretagne se termine et la longue période des ducs commence. Le premier d’entre eux est Alain Barbetorte, petit-fils du roi Alain le Grand. Puis le duché devient le théâtre d’affrontements entre les Plantagenêts et les Capétiens, qui culminent lors de la Guerre de Succession de Bretagne, de 1341 à 1364. Les siècles qui suivent voient l’affirmation du pouvoir du duché, qui devient un véritable État breton, un État prospère tant qu’il est en paix.
Les 17 années de règne du roi Alain Ier, ou Alain le Grand, à partir de 890, ont été marquées par les invasions vikings, qu’il n’a cessé de combattre. Mais Alain meurt sans laisser d’héritier direct. C’en est fini du royaume de Bretagne.
La disparition d’Alain en 907 entraîne une période d’agitation et de crise. Les comtes bretons se disputent la succession, et cette absence de pouvoir établi à la tête de la Bretagne permet aux Vikings de revenir à la charge. Ils sèment de nouveau la terreur et prennent même possession de la ville de Nantes, où leur chef Ragenold se proclame roi !
C’est dans ce contexte chaotique qu’une bonne partie de l’aristocratie décide de fuir pour Angleterre. Le petit-fils d’Alain le Grand, également prénommé Alain et encore enfant, fait partie de ceux qui s’exilent. Il séjourne à la cour de son parrain, le roi anglo-saxon Aethelstan.
Quant à la Bretagne, privée de gouvernance pendant près de trente ans, elle devient inexistante en tant qu’entité politique.
Il faut attendre 936 pour qu’Alain opère son retour en Bretagne, à la demande de Jean, l’abbé de Landévennec. Il marche d’abord sur Nantes et en chasse les occupants scandinaves en août 937. Deux ans plus tard, en 939, il écrase enfin les Normands à Trans, dans l’actuelle Ille-et-Vilaine, et parachève ainsi la reconquête de la péninsule.
Entre temps, en 938, il devient officiellement le premier duc de Bretagne, issu de la maison de Nantes. Connu sous le nom d’Alain II, ou Alain Barbetorte, il règne sur la Bretagne jusqu’en 952.
Alain Barbetorte est donc le premier duc issu de la maison de Nantes et il n’y en aura pas beaucoup d’autres. La situation est encore bien troublée lorsqu’il meurt en 952 : la péninsule a subi plusieurs décennies de raids et de pillages vikings, elle est dévastée, et son fils Drogon est trop jeune pour exercer le pouvoir.
Pendant ce temps, de multiples seigneurs locaux ont pris leurs aises. Ils se sont affranchis du pouvoir ducal et règnent sur leurs territoires de manière très autonome. Ils perçoivent l’impôt pour leur propre compte et exercent la justice. Ils ont aussi la main sur les églises et les monastères, nomment certains ecclésiastiques et construisent des forteresses. Les paysans qui vivent sur leurs terres sont soumis au régime féodal : ils doivent à leurs seigneurs une partie de leurs récoltes et de leurs productions en échange de leur protection. A la fin du Xe siècle, six de ces comtés deviennent très puissants : Rennes, Nantes, Vannes, Cornouaille, Poher et Léon.
La lutte pour le pouvoir central est donc rude entre ces hommes qui n’entendent pas se laisser affaiblir et les prétendants au duché. Drogon, unique fils légitime d’Alain Barbetorte, meurt de manière suspecte à l’âge de 8 ans. Puis deux fils illégitimes d’Alain revendiquent tour à tour le pouvoir, mais sans parvenir à asseoir leur autorité sur l’ensemble de la Bretagne : d’abord Hoël Ier, qui règne de 860 à 981, date à laquelle il est assassiné, puis Guérec, peut-être également assassiné en 988.
Le duché passe entre les mains de la famille de Rennes, quand Conan Ier « le Tort » s’empare du pouvoir. Il se transmet ensuite de père en fils pendant trois générations, mais tous peinent à s’imposer face aux grands seigneurs bretons qui revendiquent toujours leur indépendance. En 992, Geoffroy Ier succède à Conan Ier. Puis vient Alain III, fils de Geoffroy, en 1008 et en 1040, Conan II, fils d’Alain III. Mais à sa mort en 1066, il est sans héritier direct. C’en est fini des ducs de la maison de Rennes.
Le duché passe alors entre les mains de la maison de Cornouaille. En 1066, Havoise de Bretagne, fille d’Alain III et sœur de Conan II, hérite du duché et règne avec son époux, le comte Hoël de Cornouaille. Leurs descendants directs exercent le pouvoir les uns après les autres pendant plusieurs décennies. D’abord Alain IV, qui devient duc en 1084, puis son fils Conan III, qui lui succède en 1112 et, enfin Berthe, la fille de Conan, à partir de 1148.
Le premier mari de Berthe meurt prématurément, et elle se retrouve seule avec son jeune fils, également nommé Conan. Elle se remarie avec Eudon de Porhoët, qui gère les affaires du duché jusqu’à la majorité du jeune héritier. Mais lorsque Conan lui réclame le duché, son beau-père refuse de lui rendre. Conan demande donc le soutien du puissant roi d’Angleterre, qui lui permet de devenir duc en 1156, sous le nom de Conan IV.
Mais en ouvrant ainsi les portes du duché aux Plantagenêts, Conan a ouvert une boîte de Pandore qui n’est pas près de se refermer. Les décennies et les siècles qui suivent voient en effet la Bretagne devenir le terrain d’affrontements entre Anglais et Français, qui cherchent à s’approprier le duché, sur fond d’alliances et de mariages imbriquant familles et territoires. Avec d’un côté les Plantagenêts et de l’autre les Capétiens…
D’abord les Plantagenêts. A l’origine, au XIe siècle, ils règnent sur l’Anjou puis ils s’étendent, gagnent quelques comtés au fil du temps, et s’emparent de la Normandie. En 1152, Henri Plantagenêt, fils de Geoffroy V d’Anjou, épouse Aliénor et accède ainsi au duché d’Aquitaine. En décembre 1154, il est couronné roi d’Angleterre, tout en conservant ses titres de comte d’Anjou et du Maine, et duc de Normandie et d’Aquitaine.
La dynastie capétienne est quant à elle implantée depuis le IXe siècle, avec pour ancrage d’origine la Neustrie, au nord-ouest de la France actuelle. Ils doivent leur nom à Hugues Capet, devenu roi des Francs en 987, à la suite du dernier roi Carolingien, Louis V. Puis les Capétiens cherchent eux aussi à agrandir le royaume de France. Ils voient donc d’un mauvais œil les opérations expansionnistes des Plantagenêts.
Ces deux puissantes familles vont ainsi s’affronter pendant plusieurs siècles, la guerre de Cent ans (1337 – 1453) constituant l’apogée de cette rivalité. Quant au fragile duché breton, il est régulièrement contraint de chercher des soutiens à l’extérieur. Les ducs et leurs opposants sollicitent donc, selon les cas, les Capétiens et les Plantagenêts. Ceux-ci ne se font pas prier car le duché breton constitue un territoire stratégique, convoité tant par les Anglais que par les Français.
Conan IV est donc le premier à faire appel à Henri II Plantagenêt pour récupérer son duché, en 1156. Mais ce soutien anglais va coûter très cher à la Bretagne. Henri II est en effet l’un des souverains les puissants d’Occident, qui règne non seulement sur l’Angleterre, mais aussi sur la Normandie et tout le sud-ouest de la France. Conan IV s’étant placé sous sa tutelle, il n’est plus en position de décider ou même de négocier.
Et de fait, la Bretagne est bientôt l’objet de la convoitise d’Henri II, qui entend bien profiter de son avantage. En 1160, il contraint Conan à épouser Marguerite de Huntingdon, la fille du prince Henri d’Écosse. Quelques années plus tard, en 1166, il impose le mariage de Constance, fille de Conan et unique héritière du duché, à Geoffroy, son troisième fils. La jeune Constance est âgée alors de 5 ans et son époux de huit ans. Cette union fait clairement basculer le duché breton sous la tutelle des Plantagenêts et Conan est réduit à régner sur la Bretagne au nom du jeune Geoffroy.
A partir de 1181, Geoffroy devient officiellement duc de Bretagne, mais il reste sous le contrôle de son père, le puissant roi d’Angleterre. Au cours de son règne, il fait en sorte de réunifier la Bretagne, et parvient à s’imposer face aux vassaux bretons. Il meurt accidentellement à Paris en 1186. Il n’a pas d’héritier mais… son épouse Constance est enceinte.
Constance donne naissance à un fils en 1187, et on lui donne le nom d’Arthur. Orphelin avant même sa naissance, il revient à sa mère d’assurer la régence du duché jusqu’à sa majorité. Mais le pouvoir de la duchesse reste précaire, et la Bretagne ne cesse d’être convoitée par ses deux puissants voisins, les Français et les Anglais.
Henri II Plantagenêt meurt finalement en 1189, et c’est son fils Richard Cœur de Lion qui lui succède. Son règne est de courte durée puisqu’il meurt prématurément en 1199, ne laissant aucun descendant direct. Il a cependant choisi son successeur : c’est son neveu, le jeune Arthur, âgé seulement de 12 ans, qui est désigné de longue date comme l’héritier.
Mais… le frère cadet de Richard, Jean sans Terre, ne l’entend pas ainsi. Il ne veut pas voir le trône lui échapper et, soutenu par sa mère Aliénor d’Aquitaine (la veuve d’Henri II), il s’empresse de se faire couronner duc de Normandie et roi d’Angleterre.
Arthur, quant à lui, devient officiellement duc de Bretagne à la mort de sa mère Constance, en 1201. Soutenu par Philippe Auguste, il décide de partir en guerre contre son oncle Jean sans Terre pour récupérer la couronne d’Angleterre. Mais il est capturé à Rouen dès 1202, puis tué et jeté dans la Seine l’année suivante ! L’assassinat du jeune duc par son oncle Jean détourne la noblesse bretonne du roi d’Angleterre. Le roi de France Philippe Auguste y voit l’opportunité d’intervenir dans les affaires de la Bretagne…
Cet épisode funeste, durant lequel Philippe Auguste a pris le parti d’Arthur, permet à la France de revenir dans la course pour s’emparer du duché de Bretagne. Début 1214, Pierre de Dreux, le cousin de Philippe, épouse Alix de Thouars, demi-sœur d’Arthur et duchesse de Bretagne. Ce mariage est une première étape dans le projet des Capétiens de mettre la main sur le duché. Et le plan fonctionne puisque, de fait, Pierre de Dreux, aussi appelé Pierre Mauclerc, devient duc de Bretagne et prête l’hommage lige au roi de France.
Le nouveau duc renforce le pouvoir ducal, s’imposant face à l’Église, et aussi face aux grands seigneurs bretons. Il reste fidèle à Philippe Auguste jusqu’à la mort de ce dernier en 1223, mais il tente ensuite de s’émanciper de la tutelle capétienne, à partir de 1226.
Il meurt en 1237, et ses descendants, Jean Ier le Roux, Jean II, Arthur II, et enfin Jean III lui succèdent jusqu’en 1341. Tout comme Pierre Mauclerc, Jean Ier œuvre à consolider le pouvoir du duc au détriment des grands vassaux bretons. Lui et ses successeurs observent par ailleurs une politique de neutralité entre la France et l’Angleterre, qui leur permet de régner sur une Bretagne en paix et prospère. Ils mettent également en place les prémices d’un futur gouvernement.
Mais, après plusieurs décennies de relative stabilité, tout bascule à nouveau ! Et c’est, une fois de plus, une question de descendance. Le duc Jean III n’a pas d’héritier direct et ne parvient pas à désigner un nouveau duc avant sa mort en avril 1341. Cette incapacité à décider va plonger la Bretagne dans une longue guerre de succession.
Au XIVe siècle, la Bretagne n’échappe pas à la guerre de 100 ans qui ravage la France de 1337 à 1453. Bien au contraire, à partir de 1341, le duché doit également faire face à une crise de succession qui oppose deux parties, l’une soutenue par les Français et l’autre par les Anglais.
La dynastie des Dreux est au pouvoir depuis les années 1210 quand Pierre Mauclerc a épousé l’héritière du duché mais la mort de Jean III, le 30 avril 1341, met un terme à cette stabilité. Le duc meurt en effet sans descendant et sans désigner d’héritier. Cette indécision précipite la Bretagne dans la guerre de Succession, qui durera près d’un quart de siècle.
Deux prétendants veulent alors s’emparer du duché :
En France, c’est également un problème de succession qui est à la base de la guerre de Cent ans (1337-1453). Le roi Charles IV meurt en effet en 1328 sans héritier direct, et cette situation précipite le royaume dans un conflit sans précédent avec l’Angleterre : les barons choisissent Philippe VI de Valois, le cousin de Charles, comme successeur, mais le roi d’Angleterre Édouard III estime également qu’il est l’héritier légitime par sa mère Isabelle de France. A partir de 1337, les deux dynasties s’affrontent dans un conflit qui va durer plus d’un siècle.
C’est dans ce contexte agité que débute la guerre de Succession de Bretagne, qui est donc convoitée par ses deux puissants voisins. Elle devient rapidement le terrain privilégié d’une série de conflits qui opposent les deux puissants rivaux. Jean de Monfort est donc soutenu par Édouard III alors que Jeanne de Penthièvre et son époux, Charles de Blois, bénéficient de l’aide de Philippe VI.
Les Monforts peuvent s’appuyer sur de petits nobles de Basse-Bretagne, ainsi que sur les négociants de certains ports qui commercent avec l’Angleterre. Leurs alliés anglais occupent les villes de Brest et d’Hennebont et s’imposent principalement sur la partie ouest de la Bretagne.
Jeanne de Penthièvre et son mari trouvent quant à eux des soutiens sur la côte nord et en Haute-Bretagne. Mais les alliances fluctuent souvent en fonction des intérêts personnels des uns et des autres.
Tout comme la guerre de Cent ans, la guerre de Succession de Bretagne s’enlise et traîne en longueur. Tout d’abord, le soutien de l’Angleterre et de la France permet à chaque prétendant de conserver ses places fortes. Ensuite, les deux parties sont rapidement privées de leurs représentants masculins : Jean II de Monfort meurt en septembre 1345, et Charles de Blois est capturé près de Tréguier en 1347, avant d’être emprisonné en Angleterre jusqu’en 1356. Mais leurs femmes respectives reprennent le flambeau ! Jeanne de Flandre, l’épouse de Jean II de Montfort, dite Jeanne la Flamme, s’engage dans le combat en attendant la majorité de son fils Jean (IV). Et Jeanne de Penthièvre, épouse de Charles de Blois, continue également la lutte en l’absence de son mari.
Le conflit ne se traduit généralement pas par des batailles spectaculaires, mais plutôt par des escarmouches et des affrontements occasionnels, jalonnés de longues périodes de trêves. Les populations sont les premières victimes de cette interminable guerre d’usure.
Le conflit dure depuis déjà 10 ans et les multiples confrontations qui le ponctuent n’ont pas permis de déterminer un vainqueur, quand en mars 1351 survient un événement qui marque l’histoire. Les partisans de Charles de Blois veulent s’emparer du château de Ploërmel, occupé par les partisans des Monforts.
Pour éviter des pertes humaines supplémentaires, Jean de Beaumanoir, maréchal de Bretagne au nom de Charles de Blois, propose un combat singulier. Il s’agira d’opposer sur un champ de bataille trente combattants de chaque parti. Beaumanoir, suggère l’idée à son homologue Robert Bamborough, représentant des Monforts à Ploërmel, et ce dernier accepte. Les conditions du tournoi sont donc rapidement organisées.
C’est ainsi, que le 26 mars 1351, trente Franco-Bretons et trente Anglo-Bretons s’affrontent sur la lande entre Ploërmel et Josselin. Le nombre de morts est élevé, surtout du côté des partisans des Monforts, qui perdent entre 15 et 26 combattants. Les hommes de Beaumanoir remportent officiellement la victoire, mais en pratique cette confrontation spectaculaire ne débloque pas la situation. En effet, les Anglais gardent la forteresse de Ploërmel et les Français ne regagnent pas de nouveaux territoires.
Ce combat chevaleresque restera longtemps gravé dans les mémoires, mais il ne permet toujours pas de mettre un terme à la guerre et n’aura en réalité que peu d’effets sur la suite du conflit.
En août 1356, après neuf ans de captivité en Angleterre, Charles de Blois est enfin libéré en échange d’une rançon. Il regagne alors la Bretagne et reprend rapidement le combat.
Mais la situation n’évolue toujours pas et en 1360, lassés par la situation, les rois de France et d’Angleterre s’entendent pour proposer un compromis aux deux parties. L’idée est simple : comme il semble impossible de départager les deux prétendants, on propose de diviser le duché en deux ! Du côté des alliés de la France, Charles de Blois hériterait de la Bretagne nord dont la capitale serait Rennes. En face, le duc Jean II est mort mais son fils, également nommé Jean de Montfort, hériterait des trois évêchés situés au sud, avec la ville de Nantes pour capitale. Chacun deviendrait ainsi duc d’une partie de la Bretagne.
Cette proposition est catégoriquement rejetée par Jeanne de Penthièvre. Elle estime être la seule héritière légitime. C’est donc un échec, une fois encore, et la guerre continue.
Du côté de la partie adverse, Edouard III reconnait Jean (IV) désormais âgé de 22 ans et époux de sa fille Marie d’Angleterre, comme étant l’héritier officiel. Le jeune Jean débarque alors en Bretagne, accompagné d’une petite troupe et bien décidé à récupérer le duché. Les combats reprennent de plus belle, mais cette fois en présence des chefs de part et d’autre. La guerre dure depuis déjà deux décennies…
A partir de juillet 1364, les partisans de Monfort s’emparent des châteaux de Suscinio et de la Roche-Périou, dans la partie sud de la Bretagne. Au mois d’août, ils font le siège d’Auray et la ville tombe rapidement. Suite à cette défaite, Charles de Blois demande le soutien du roi de France, qui lui envoie aussitôt une troupe commandée par Bertrand du Guesclin. La bataille d’Auray peut démarrer…
Le 27 septembre, les 4 000 hommes de Charles de Blois se dirigent vers la rive gauche de la ville. Les 3 500 hommes de Monfort campent quant à eux sur la rive droite. Des pourparlers ont encore lieu dans le but de trouver un compromis, mais en vain. Le jour de la Saint-Michel, les deux armées, soit plus de 7 000 hommes, s’affrontent dans une plaine au nord d’Auray. Les chevaliers les plus renommés sont présents : Olivier de Clisson, Bertrand du Guesclin, mais également Robert Knolles et John Chandos.
Grâce au soutien de l’arrière-garde anglaise, l’avantage tourne rapidement en faveur des hommes de Monfort et Charles de Blois perd la vie sur le champ de bataille. Ce célèbre combat met un terme à presque un quart de siècle de conflit. Les Bretons ont enfin un duc : Jean de Monfort devient officiellement le duc Jean IV de Bretagne.
Le premier traité de Guérande est signé en avril 1365 par le roi de France Charles V. L’accord reconnaît officiellement Jean IV comme étant le nouveau duc de Bretagne, mais il doit continuer de rendre l’hommage au roi de France. Quant à Jeanne de Penthièvre, elle renonce au duché, mais conserve ses terres et ses biens, qui représentent, tout de même, un cinquième de la Bretagne, ainsi qu’un titre honorifique de « duchesse de Bretagne ». On note aussi que, selon le traité, aucune femme ne pourra désormais régner en Bretagne tant qu’il y aura des héritiers mâles dans la dynastie des Montforts !
La guerre est donc finie, mais les difficultés ne sont pas pour autant effacées, et les premières années de règne de Jean IV sont tourmentées. Tout d’abord, le duc doit sa couronne au roi d’Angleterre, Edouard III, qui profite donc de sa position pour faire payer son débiteur de différentes façons.
Ainsi, si les troupes françaises ont bien évacué la Bretagne, ce n’est pas le cas des Anglais, qui gardent pied dans la péninsule et conservent certaines villes et forteresses. Beaucoup de postes importants aux finances et dans l’armée sont par ailleurs aux mains de conseillers venus d’outre-Manche. Les grands seigneurs bretons voient bien évidemment d’un mauvais œil cette forte présence anglaise dans l’entourage du duc.
Son impopularité grandit aussi au fur et à mesure que les impôts augmentent. Car pour payer les dettes du duché, Jean a recours à une lourde fiscalité. Ces nouveaux prélèvements frappent les populations qui sont donc tout aussi mécontentes que les seigneurs.
Les rapports entre le duc et le roi de France sont également difficiles. Un an après la signature du premier traité de Guérande, Jean IV refuse de prêter l’hommage lige, qui implique de se présenter devant le roi à genoux et sans armes. Jean estime que le duché breton est une province voisine de la France et qu’elle n’est en aucun cas sa vassale. Il ne prête donc qu’un hommage simple, debout, d’égal à égal. Les relations entre Jean IV et Charles V s’enveniment dangereusement.
Le duc conclut même en secret un traité d’alliance avec Edouard III, l’ennemi anglais ! Les grands seigneurs bretons en sont furieux, et le roi Charles V envoie Du Guesclin, devenu connétable de France, occuper la Bretagne. Le duc Jean, considéré comme un félon et abandonné de tous, est contraint de fuir en Angleterre en 1373.
Le roi Charles en profite pour franchir le pas : il annexe le duché en 1378 et prononce le rattachement au royaume de France. La mesure déclenche une levée de boucliers en Bretagne. Les nobles, qui avaient pourtant tout fait pour chasser Jean IV, s’insurgent au nom des droits et privilèges du duché ! Ils décident même de le rappeler, et Jean débarque ainsi triomphalement à Dinard en août 1379.
Charles V meurt peu après, en 1380. Son successeur, Charles VI, est encore mineur quand il accède au trône, et il sera plus facile pour le duc de parlementer avec ce jeune roi. C’est ainsi qu’un second traité est signé à Guérande le 15 janvier 1381. La Bretagne est reconnue comme une principauté indépendante du royaume de France et la dynastie des Monforts est solidement établie.
Le règne de Jean IV pose les fondations d’un futur État breton. Après lui, ses successeurs ne cesseront d’affermir le duché pour en faire un véritable État indépendant. Jusqu’à ce que les rois de France se mobilisent pour mettre la main sur le duché.
Jean IV devient pleinement duc en septembre 1364 après la bataille d’Auray. Mais le début de son règne est marqué par une période d’agitation, et il doit fuir en Angleterre en 1373. Il revient triomphalement en 1379, et son pouvoir est consolidé lors du second traité de Guérande en 1381. Pendant les deux décennies qui suivent, il s’emploie à développer le duché sur tous les plans, et à en affirmer l’autonomie.
Sur le plan politique, il maintient une position de neutralité avec les Anglais et les Français, tout en exploitant habilement les rivalités entre les deux parties afin d’affermir son propre pouvoir. Du côté français, il donne des gages au roi en continuant à lui rendre l’hommage simple, il épouse Jeanne de Navarre en troisièmes noces. Du côté anglais, il ménage également ses bonnes relations avec le roi Richard II, et le comté de Richemont en Angleterre, perdu en 1341, lui est rendu en 1372.
Le duc Jean profite de cette période de paix pour bâtir les fondements d’un futur État breton. Il consolide son pouvoir en réduisant celui des grands féodaux et fonde l’ordre de l’Hermine en 1381 pour s’assurer la fidélité de ses partisans. Il met aussi en place une administration plus centralisée. Et comme les grands monarques, il frappe monnaie et signe des documents diplomatiques.
Jean IV meurt en 1399, laissant à ses héritiers un duché qu’il a placé sur une trajectoire d’émancipation vis-à-vis du roi de France. Cinq de ses descendants lui succèdent jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Anne de Bretagne en 1488 : son fils Jean V qui règne plus de 40 ans (1399 à 1442), ses petits-fils François 1er, puis Pierre II, son second fils Arthur III (1457 – 1458), et enfin un autre petit-fils, François II (1458 – 1488), père de la duchesse et reine Anne.
Tous œuvrent dans la même direction : faire de la Bretagne un véritable État et s’affranchir du pouvoir royal, que l’on s’attache donc à imiter pour se placer sur un pied d’égalité. Pour cela, les signes comptent : les habits des ducs sont couverts d’hermines quand ceux du roi portent des lys ; ils portent aussi, comme les rois, une couronne à hauts fleurons garnie de pierres précieuses et la cérémonie du couronnement est célébrée en grande pompe à la cathédrale de Rennes.
L’aspiration à faire du duché une entité puissante implique également de maintenir un certain train de vie. Jean IV s’attache donc à développer la maison ducale et s’inspire du modèle royal. Au fil du temps, le personnel au service du duc et de la duchesse s’étoffe, jusqu’à compter plusieurs centaines d’hommes et de femmes. Pour tenir son rang, le duc doit par ailleurs pratiquer la chasse, ce qui nécessite l’entretien de manoirs et de châteaux entourés de grands parcs ou de forêts, châteaux qu’il faut entretenir et agrandir.
Les dépenses ainsi engagées sont importantes mais ce faste confère prestige et renommée aux ducs de Bretagne. La crédibilité ainsi acquise est nécessaire pour maintenir leur autorité sur les grands seigneurs et s’affirmer dans leurs relations avec le roi de France.
Enfin, la formule « duc par la grâce de Dieu », inscrite dans les actes officiels à partir des années 1420 complète la panoplie faisant du duc de Bretagne un prince souverain qui n’a de comptes à rendre à personne. Il mène sa propre diplomatie, noue des alliances, et envoie des ambassadeurs au pape et aux rois étrangers.
Cette volonté de s’affranchir de la couronne royale passe aussi, et surtout, par la constitution d’un État disposant de prérogatives étendues. La centralisation des pouvoirs se renforce donc pendant tout le XVe siècle, l’objectif étant de mettre le duché de Bretagne sur un pied d’égalité avec les autres États souverains.
Bâtir un État implique d’abord la mise en place d’institutions solides et efficaces, à commencer par un gouvernement. Un Conseil est donc constitué, qui siège à Nantes et est composé d’hommes choisis par le duc. Il est présidé par le chancelier, une sorte de premier ministre.
Parallèlement les États de Bretagne forment une assemblée qui représente la population du duché, selon les critères de l’époque. Ces États comptent une centaine de nobles, une soixantaine d’hommes d’Église et une trentaine de bourgeois issus de 25 villes. Ils se réunissent au moins une fois par an et s’entretiennent sur les questions politiques, judiciaires et financières du duché. Les impôts ne peuvent être décidés sans leur accord et le duc les associe aux décisions importantes.
Pour faire tourner un État il faut aussi… de l’argent ! Le trésorier général lève les impôts, la Chambre des comptes de Vannes contrôle les finances et les ateliers monétaires de Nantes, Rennes et ailleurs battent monnaie d’or et d’argent.
Un État doit également avoir une armée. En plus du service féodal classique et des milices recrutées dans les paroisses, les ducs, à l’imitation des rois de France, entretiennent une véritable armée de métier qui compte 1200 hommes en temps de paix et jusqu’à 4800 en temps de guerre.
Le système est enfin complété par une hiérarchie de tribunaux qui rendent la justice du duc, avec à son sommet le Parlement de Bretagne. La Très ancienne coutume de Bretagne prévoyait cependant la possibilité d’en appeler à la justice du roi en cas de « faux jugement ». Mais en 1485, le duc François II franchit un pas décisif : le Parlement de Bretagne devient souverain et l’appel au roi est désormais impossible. On se rapproche là d’une véritable indépendance…
La Bretagne a peut-être perdu un tiers de sa population en une cinquantaine d’années, entre la guerre de Succession (1341-1364) et le début du XVe siècle : la peste, les conflits, les intempéries et les mauvaises récoltes n’ont cessé d’appauvrir le duché. Le terme mis à la guerre de succession marque enfin le début d’un siècle de paix relative qui favorise la prospérité.
Comme la plupart des pays occidentaux de l’époque, la Bretagne est avant tout un monde rural, peuplé de petits paysans pauvres qui vivotent d’une agriculture de subsistance et d’un peu d’élevage. Dans certaines paroisses, une partie de la population vit même dans une extrême pauvreté.
Mais d’autres classes sociales du duché connaissent bientôt la prospérité grâce à deux facteurs. D’abord, la péninsule est ouverte sur l’extérieur grâce à sa longue façade maritime. Bénéficiant de la proximité d’une grande voie de navigation qui va du nord au sud de l’Europe, elle peut développer considérablement son commerce par la mer. Une centaine de petits ports apparaissent sur les côtes, d’où partent les produits que les Bretons ont à exporter : sel, céréales, poisson séché, farine, toiles… Et ils y reçoivent aussi les produits des autres, en particulier le vin qui vient du sud.
Dans un premier temps, ils traitent surtout avec les ports de La Rochelle et de Bordeaux puis ils passent progressivement du cabotage à une navigation plus lointaine. Leurs navires sont petits, mais ils sont nombreux et ils vont désormais partout, de la péninsule ibérique à la Baltique.
L’autre facteur de prospérité est le développement de l’industrie des toiles. Particulièrement florissante et lucrative, cette activité est d’abord liée à l’essor du commerce maritime, puisque les toiles servent principalement à équiper les navires. A Locronan, par exemple, on fabrique des « poldavys », de grosses toiles de chanvre écru, très résistantes et destinées aux bateaux. Elles partent vers les ports anglais, portugais, espagnols…
Plus au nord, dans le Léon, on tisse plutôt des toiles fines qui sont utilisées dans l’habillement et la fabrication du linge de maison. Celles-là sont commercialisées localement, à Morlaix, Saint-Pol, Landerneau, et font la fortune des cultivateurs-tisserands et des négociants. Elles partent aussi par le port de Morlaix vers Bordeaux, La Rochelle, Madère, ou encore Exeter en Angleterre.
François II, père d’Anne de Bretagne, devient duc en 1458. Il est tout aussi indépendant que ses prédécesseurs, et le pape Pie II déclare même alors que si le roi de France est empereur en son royaume, « le duc de Bretagne est roi en son duché ».
Louis XI devient quant à lui roi de France en 1461, et met tout en œuvre pour annexer le duché. En réaction, François II cherche des alliances et se rapproche du duc de Bourgogne, Charles Le Téméraire. Mais celui-ci meurt en 1477 et François sollicite le soutien de l’Angleterre.
Quelques années plus tard, en 1483, c’est Louis XI qui meurt à son tour. Sa fille, Anne de France, assure la régence avec son époux Pierre de Beaujeu, en attendant la majorité du futur Charles VIII. Elle poursuit d’une main de fer la politique d’annexion de son père et paie les seigneurs bretons pour se les rallier.
Le conflit connait un tournant important le 28 juillet 1488, quand les armées françaises et bretonnes s’affrontent à Saint-Aubin-du-Cormier, entre Rennes et Fougères. L’armée du roi, plus nombreuse et mieux armée, écrase les Bretons. Le Traité du Verger est signé dans la foulée, le 19 août. Charles VIII accorde la paix à la Bretagne, mais François doit s’engager à rendre hommage au souverain français. Surtout il ne pourra pas marier ses filles Anne et Isabeau sans le consentement du roi, ce qui sous-entend que des mariages d’alliance avec la couronne française seront imposés. Ce traité préfigure donc l’annexion en bonne et due forme de la Bretagne par la France.
Quelques semaines plus tard, le 9 septembre 1488, François II meurt. Sa fille Anne, alors âgée de 11 ans, lui succède et devient duchesse de Bretagne. Son tuteur, Jean de Rieux, passe outre le Traité du Verger et lui cherche un époux parmi les têtes couronnées d’Europe, afin d’éviter que la France ne s’empare de la Bretagne. C’est finalement Maximilien d’Autriche qui est retenu et les épousailles sont célébrées en urgence en 1490 mais… par procuration car Maximilien ne peut se rendre en Bretagne. Ce premier mariage ne sera jamais effectif.
Fin 1491, le duché est définitivement vaincu militairement. La jeune duchesse est alors contrainte d’épouser le roi Charles VIII et devient ainsi reine une première fois. Elle est mise à l’écart du pouvoir et son mari prend sans elle toutes les décisions concernant le duché. Elle enchaine par ailleurs les grossesses mais aucun des enfants de Charles VIII ne survit.
Puis le roi meurt à son tour accidentellement en 1498 et Anne se retrouve veuve à seulement 21 ans. Elle récupère alors un certain pouvoir et entreprend de rétablir la chancellerie et le conseil ducal. Elle fait par ailleurs évacuer les garnisons françaises qui occupent les principales villes de son duché.
Quelques mois après la mort de Charles, elle épouse le nouveau roi de France, Louis XII, et est une seconde fois couronnée reine. Cette fois le contrat de mariage préserve bien l’indépendance du duché. Il stipule par exemple qu’aucun impôt ne pourra être levé sans l’approbation des États de Bretagne. Une autre clause prévoit par ailleurs qu’à la mort d’Anne, son second fils, ou à défaut ses filles, hériteront pleinement du duché, qui ne devrait donc pas disparaître au sein du royaume de France.
Les événements se précipitent alors, et le duché perd son indépendance en quelques étapes clef. Le processus démarre quand Anne meurt prématurément en janvier 1514, âgée de 37 ans, Quelques mois plus tard, en mai de la même année, le roi Louis impose à leur fille aînée, Claude, d’épouser l’héritier du trône de France, François d’Angoulême. Puis Louis XII meurt à son tour en janvier 1515 et François devient roi sous le nom de François Ier. Claude hérite de la couronne ducale, mais elle fait don du duché à son mari quatre mois plus, tard, en avril 1515. La messe est dite : la Bretagne est dès lors progressivement francisée et François impose en 1532 un Traité d’union qui fait passer le duché du statut d’État quasi indépendant à celui de province.