Ah ils ont fait couler de l’encre, les fameux Celtes…! Il n’est pas toujours aisé de démêler le vrai du faux dans les données qui nous sont parvenues, et leurs origines demeurent nébuleuses. Mais le croisement de différentes disciplines (archéologie, étude des textes anciens, linguistique, toponymie, et maintenant génétique) permet de commencer à y voir plus clair. Et une chose est certaine : les Celtes, ou Gaulois, ont bien occupé la péninsule armoricaine dès le premier millénaire avant notre ère.
Le terme « Celte » est désormais utilisé à toutes les sauces, et il défraie la chronique régulièrement. Les polémiques font rage, l’idéologie s’en mêle, et même les historiens ne sont pas tous d’accord entre eux ! Nous allons donc essayer d’y voir plus clair.
Faisons pour commencer le point sur ce que nous savons de façon certaine, en particulier sur les origines de ce mot. Les premiers à l’utiliser sont des historiens et géographes grecs : Hécatée de Milet, qui a vécu vers 500 avant notre ère, et Hérodote, vers 450 avant notre ère. Durant les siècles suivants, d’autres auteurs grecs et romains évoquent, souvent sans les distinguer, les « Keltoi » et les « Galatai » en grec, et les « Celti », « Celtae », « Galati » ou « Galli » en latin. Tous ces termes désignaient le même peuple, ou des peuples apparentés. D’ailleurs, César précise lui-même dans sa « Guerre des Gaules » que les « Galli » occupent la Gaule mais qu’ils s’appellent eux-mêmes « Celtae » dans leur langue.
Mais au fil du temps, les appellations se figent : les Celtes de Gaule sont appelés Gaulois, et ceux qui sont allés s’établir en Asie mineure (l’actuelle Turquie) sont qualifiés de Galates. Quant aux peuples des îles d’outre-Manche, la Grande-Bretagne et l’Irlande actuelles, les textes anciens ne les qualifient pas de Celtes, mais l’historien Tacite (58-120 après notre ère environ) précise bien que par leur langue, leurs coutumes et leur religion, ils ressemblent aux Gaulois du continent.
On sait aussi que les Celtes écrivaient très peu, et cela ne facilite pas la tâche. Mais les Gaulois ont laissé néanmoins des inscriptions suffisamment nombreuses pour être étudiées, et aussi beaucoup de traces dans les noms de personnes et les noms de lieux. C’est ce qui a permis aux scientifiques de montrer que les différentes versions du gaélique (parlées en Irlande, en Écosse et à l’île de Man), les langues brittoniques (le gallois, le cornique et le breton) et la langue des Gaulois appartiennent bien à la même famille, la famille des langues celtiques. Les preuves linguistiques sont irréfutables, et aucun scientifique digne de ce nom ne les conteste.
Après les textes anciens et l’étude des langues, la troisième pièce du puzzle est bien sûr l’archéologie, et c’est là que ça se complique… Car l’utilisation du terme « celtique » par les archéologues pour désigner certaines populations date seulement du XVIIIe siècle. Et aujourd’hui, plusieurs hypothèses s’opposent.
Les archéologues de la deuxième partie du XIXe siècle (Bertrand et Reinach, puis Joseph Déchelette) ont élaboré une hypothèse selon laquelle les Celtes trouveraient leurs origines en Europe centrale, du côté des sources du Danube. Le plus ancien site connu où ils auraient vécu est le site de Halstatt, en Autriche, qui a donné son nom à la période allant grosso modo de 800 à 450 avant notre ère. On y a retrouvé plus d’un millier de sépultures contenant des objets divers. Puis le site clef qui donne son nom à la période suivante, le second âge du fer, à partir de 450 avant notre ère environ, serait le site de La Tène, en Suisse, où l’on a découvert un grand nombre d’objets, notamment dans des gisements au fond du lac de Neuchâtel : céramiques, outils, armes, etc.
C’est à partir de ces « berceaux » que les Celtes se seraient élancés vers l’Europe de l’Ouest et du Sud, c’est-à-dire en France, en Italie, en Espagne et dans les iles d’outre-Manche, établissant leur domination grâce à leur supériorité technologique, c’est-à-dire la maîtrise du fer et du cheval.
On a ainsi retrouvé plusieurs centaines de tombes de la période de Halstatt dans le nord et le centre-est de la France, dans les Ardennes belges et en Allemagne. Beaucoup de ces tombes princières étaient riches de somptueux objets, tels que de la vaisselle et des armes, souvent en or et finement décorées. Certains contenaient surtout des chars d’apparat sur lesquels était étendu le prince, parfois accompagné de son épouse sacrifiée. Il s’agissait donc là de sociétés guerrières, dirigées par une riche et puissante aristocratie.
Cette hypothèse a longtemps été considérée comme étant une vérité établie, mais elle est contestée depuis quelques décennies par d’éminents chercheurs, archéologues, philologues et linguistes…
La théorie du XIXe siècle qui fait aller les Celtes de l’est vers l’ouest reposerait en effet sur une interprétation erronée des textes d’historiens de l’Antiquité, Hécatée et Hérodote. Ce dernier a en effet indiqué que le territoire des Celtes se trouvait aux sources du Danube, qu’il situait… du côté des Pyrénées ! Les Celtes tels qu’il les évoquait vers 450 avant notre ère étaient donc en réalité localisés à l’autre bout de l’Europe, du côté du couchant, non loin des colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar) c’est-à-dire en péninsule ibérique et non au sud de l’Allemagne.
Par ailleurs, les chercheurs de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle (l’historien Barry Cunliffe, le linguiste John Koch, etc.) donnent des arguments montrant que cette hypothèse ne tient pas car l’implantation des Celtes à l’ouest serait antérieure à leur implantation à l’est :
- Les inscriptions les plus anciennes en langues celtiques ont été découvertes, non pas du côté du Danube, mais au nord de l’Italie (inscriptions en lépontique dès le début du VIe siècle avant notre ère) et dans la péninsule ibérique. Les Celtibères parlaient et écrivaient une langue celtique, ils s’identifiaient comme Celtes, et pourtant leur culture n’avait pas grand-chose à voir avec ce qui a été découvert à La Tène.
- Les noms de lieux celtiques anciens qui ont survécu dans la toponymie sont concentrés en Irlande, en Grande-Bretagne, en France et dans la péninsule ibérique, et c’est plus tardivement qu’on les retrouve, de manière moins dense, plus à l'est vers le centre de l'Europe, autour de la mer Noire et en Asie Mineure.
- Des migrations celtiques vers l’est et vers le sud (et non de l’est vers l’ouest) sont attestées par les auteurs grecs, avec une apogée entre 400 et 200 avant notre ère.
Ces chercheurs en déduisent que l’hypothèse selon laquelle les Celtes auraient essaimé vers l’ouest autour de 500 avant notre ère, à partir d’un hypothétique « empire celtique » situé en Autriche et dans le sud de l’Allemagne, est fausse car basée sur de mauvaises informations. Le mouvement aurait donc été inverse, d’ouest en est.
Cette nouvelle hypothèse est confortée par des études basées sur la génétique : l’ADN des populations de l’ouest de l’Europe à l’époque des Celtes de l’âge du fer est proche de l’ADN des populations de la période précédente, l’âge du bronze. Il y aurait donc eu continuité de population sur la façade ouest de l’Europe, ce qui exclut une migration massive venue d’Europe centrale, ou l’ADN est alors très différent.
Les chercheurs qui suivent cette hypothèse d’une origine des Celtes sur la façade atlantique envisagent même qu’une sorte de « lingua franca » celtique, une langue commune aux peuples allant du Portugal à la Grande-Bretagne, aurait pu exister dès le quatrième millénaire avant notre ère, à l‘âge du bronze, permettant les échanges du sud au nord. Mais cette éventualité d’une langue celtique trouvant son origine le long des côtes atlantiques, avant de se répandre ensuite vers l’est, est à son tour battue en brèche par d’autres chercheurs :
- Les noms de lieux celtiques anciens ne sont pas plus présents en péninsule ibérique qu’en France actuelle, et ils sont même absents au sud et à l’est de l’Espagne ;
- Le linguiste John Koch a soutenu que des inscriptions dites « tartessiennes », trouvées sur des stèles du premier millénaire avant notre ère au sud-ouest de la péninsule ibérique, seraient celtiques, mais cela a été largement contredit par un ensemble d’éléments.
Finalement, cette hypothèse d’une origine atlantique, et même sud-atlantique, des langues celtiques nous met dans l’embarras, car il n’existe de preuves ni pour ni contre. Et dès lors qu’on ne peut démontrer l’existence d’une vaste migration des Celtes de l’extrême-ouest de l’Europe vers l’est, cette option reste spéculative.
Une troisième voie est ensuite proposée par Patrick Sims-Williams, qui estime que l’ancêtre des langues celtiques est probablement apparu sous la forme d’un dialecte indoeuropéen distinct vers le deuxième millénaire avant notre ère, sans doute quelque part en Gaule. C’est à partir de là que les Celtes se seraient répandus dans plusieurs directions et à des périodes diverses au premier millénaire avant notre ère.
Pour ce qui est des « cultures matérielles », les Celtes ont souvent adopté celle des territoires où ils s’installaient. Il est dès lors impossible de déterminer si le matériel archéologique retrouvé ici ou là leur était propre ou s’ils l’avaient simplement repris et copié.
Résumons ! Nous savons à présent que la première hypothèse, celle des Celtes de l’Est qui se seraient répandus vers l’ouest jusqu’à occuper toute l’Europe occidentale est très probablement erronée car elle repose sur des bases fausses. Les deux autres options, celles des Celtes de l’Ouest et celle des Celtes du Centre, sont toutes deux possibles puisque rien ne vient prouver le contraire, mais… rien non plus ne prouve que l’une ou l’autre soient la bonne ! Il nous faudra donc encore attendre que la science progresse pour y voir plus clair !
Quelle que soit leur origine, nous savons que les Celtes se sont répandus à travers l’Europe il y a 3000 ans au moins :
- Certains sont partis vers la péninsule ibérique au premier millénaire avant notre ère, probablement bien avant qu’Hécatée et Hérodote ne les identifient ;
- D’autres ont pris la direction de ce qui est aujourd’hui la Grande-Bretagne, et sont sans doute allés jusqu’en Irlande ;
- D’autres encore se sont dirigés vers le nord de l’Italie dès le VIe siècle avant J.-C. ; plus tard, des dizaines de milliers d’entre eux ont même tenté de conquérir une partie de l’Italie, et Tite-Live raconte comment, en 385, Rome aurait été sauvée de l’attaque des Gaulois par les cris des oies du Capitole !
- Certains de ces Gaulois, comme les Volques Tectosages, sont allés plus loin encore vers le sud-est, jusqu’à rejoindre la vallée du Danube et les Balkans, puis la Grèce, et même l’Asie Mineure. Ils y ont ont fondé la Galatie au IIIe siècle avant J.-C., rendue célèbre par la lettre de Saint Paul au Galates, vers l’an 50 de notre ère. Au bout du compte, c’est à cette époque, au IIIe siècle avant notre ère, que le monde celtique connait sa plus grande expansion. Les Celtes occupent en effet une grande partie de l’Europe, un territoire immense qui va des rivages de l’Atlantique aux massifs des Carpates, de la limite sud des grandes plaines du nord à la Méditerranée. Mais il n’y a entre ces différents peuples aucune unité politique et les Celtes n’ont jamais formé un empire.
Il n’est pas encore question de Celtes quand, vers 2 200 avant notre ère, démarre l’âge du bronze. Ce métal, qui sert à fabriquer tout à la fois des armes et des outils, marque une profonde évolution, en Armorique comme ailleurs. La péninsule dispose d’ailleurs de quelques gisements d’étain, essentiels à sa fabrication. Elle semble alors prospère, si l’on en juge par les objets trouvés dans les sépultures de l’époque, qui devaient être celles de l’élite princière de l’âge du bronze.
Mais voilà que, vers 800 avant J.-C, un nouveau métal se développe au nord de Alpes, le fer, qui a tôt fait de partout supplanter le bronze. Plus solide, il est d’abord utilisé pour fabriquer des armes, et il devient vite nécessaire pour la confection d’outils comme l’araire. Le fer arrive ainsi en Armorique vers 600 avant notre ère.
Quant à la provenance des populations de la péninsule à l’âge du fer, les analyses montrent que leur ADN est alors proche de celui des habitants de la région depuis l’âge du bronze, sinon plus tôt encore. Elles ne sont donc pas venues de l’est, comme on l’a longtemps pensé, elles ne sont pas les descendantes des populations de Hallstatt et de La Tène, mais leurs contemporaines.
Mais alors, quand les Celtes arrivent-ils en Bretagne ? A cette question il est aujourd’hui impossible de répondre de manière certaine, car les avis des chercheurs divergent. Comme les Celtes, aussi appelés Gaulois, n’écrivaient que très peu, nous en savons assez peu sur eux. Nos connaissances se limitent à ce que ce que nous en disent les auteurs grecs et latins, aux inscriptions gravées sur la pierre, et aux conclusions que l’on peut tirer de l’archéologie et de la toponymie.
La toute première mention de l’Armorique se trouve dans un récit de voyage aujourd’hui perdu, mais cité par des auteurs postérieurs, le récit du navigateur marseillais Pythéas. Vers 320 avant notre ère, il longe le territoire de ceux qu’il appelle les Ostimioi (très probablement le peuple gaulois des Osismes), s’arrête au cap Kabaïon (aujourd’hui Penmarc’h) et passe au large d’Ouxisama (Ouessant). Par une coïncidence extraordinaire, une pièce d’or frappée entre 320 et 315 avant J.-C. a été découverte en 1959 à Lampaul-Ploudalmézeau, sur la côte nord du Finistère, accrochée au pied d’une algue. Peut-être s’agit-il là d’une pièce perdue lors du voyage de Pythéas !
On remarque enfin que les noms mentionnés par le navigateur sont tous celtiques. A commencer par le nom de l’Armorique, qui vient d’« aremorica », soit le « pays devant la mer ». La langue parlée dans la péninsule au IVe siècle avant notre ère était donc bien une langue celtique !
Les auteurs grecs et latins, notamment César, indiquent que la péninsule armoricaine est occupée par cinq peuples gaulois, ou celtiques :
Les Osismes sont les premiers à apparaître dans les textes dont nous avons des traces, puisqu’ils sont cités par Pythéas dès le IVe siècle avant notre ère. L’auteur les situe aux alentours de l’île d’Ouessant, tout à l’ouest, sur un territoire correspondant au Finistère actuel et à l’ouest des Côtes d’Armor. Leur nom signifierait en celtique « les plus éloignés ».
Les Coriosolites occupent la partie centrale de la péninsule, soit une zone allant de Saint-Brieuc à Cancale au nord, et jusqu’à Redon au sud. Il semble que les îles anglo-normandes actuelles aient également fait partie de leur territoire. Ils ont donné leur nom à la ville de Corseul.
Les Riedones sont installés au nord-est de l’Armorique, sur une zone qui correspond peu ou prou au bassin de Rennes, une ville qui leur doit son nom. Leur territoire va au nord jusqu’au mont Saint-Michel.
Les Vénètes occupent une bonne partie du Morbihan et ont donné leur nom à la ville de Vannes. Ce sont des commerçants, qui importent le vin et exportent le sel. Mais ils sont surtout « la plus puissante tribu de la côte », disposant d’une flotte impressionnante que César s’acharnera à détruire.
Les Namnètes, enfin, sont situés au sud-est de la péninsule, dans le pays nantais. Ils ont, comme les Vénètes, une flotte puissante. Le nom de la ville de Nantes, capitale historique de la Bretagne, découle de celui des Namnètes.
Si l’on en croit les textes des auteurs antiques et les éléments livrés pas l’archéologie, les conflits entre clans et peuples gaulois étaient fréquents. Et comme ailleurs en Gaule, on trouve en Armorique des traces d’une « aristocratie » guerrière.
Ces hommes et ces femmes étaient contemporains des guerriers aristocrates des sites de Halsstatt (800 - 450 avant J.-C.), de La Tène (450 - 50 avant J.-C.) et de l’est de la France comme le mont Lassois à Vix en Côte d’or (apogée autour de 500 avant J.-C.), pour ne citer que les plus connus.
Mais en Armorique les pièces archéologiques retrouvées sont beaucoup moins riches, sans commune mesure avec celles découvertes dans ces sites prestigieux. Les Gaulois de la péninsule étaient pourtant également de bons artisans et souvent de véritables artistes, comme en témoigne le collier de perles en or retrouvé à Tréglonou, dans le nord-Finistère, dans un abri souterrain.
Les productions des Celtes d’Armorique comptent donc des bijoux finement ciselés, mais aussi des armes ornementées et des poteries, dont certaines sont superbement décorées. Leurs décors sont reconnaissables à leurs motifs en spirale et à des figures animales stylisées, similaires à ceux que l’on trouve dans tout le « monde celtique ».
On sait enfin que ces aristocrates avaient des bardes à leur service, comme en témoignent plusieurs représentations de lyres. On a par exemple découvert des monnaies coriosolites où figure une lyre. Et à Paule, dans le centre-Bretagne, on a trouvé plusieurs bustes de Gaulois dont une célèbre statue représentant également un joueur de lyre. Ces sculptures ont été mises au jour dans un vaste domaine, créé vers la fin du VIe siècle avant J.-C., et devenu au fil des ans une place fortifiée dirigée par une puissante famille gauloise.
Cette tradition des bardes jouant de la harpe pour les riches familles aristocratiques est restée vivante dans les autres pays celtiques que sont l’Irlande, l’Écosse et le pays de Galles jusqu’aux XVIIe ou XVIIIe siècle de notre ère.
Hormis les épisodes guerriers, l’image de la société gauloise d’Armorique que nous donne l’archéologie est celle d’un monde globalement paisible, composé d’agriculteurs et d’artisans.
Ils pratiquaient l’élevage (moutons, porcs, bovins) et le sel marin recueilli sur les côtes assurait la conservation de la viande et du poisson pour l’hiver. Ils cultivaient aussi les céréales (blé, orge, avoine, seigle), comme en témoignent les textes de César et les très nombreuses meules retrouvées.
Il est par ailleurs intéressant de noter que le travail de la terre et l’élevage étaient si importants que beaucoup de mots gaulois de l’agriculture et de l’artisanat ont été transmis au bas-latin, puis au français : lande, boue, bruyère, bouleau, if, mouton, alouette, soc, charrette, char, tonneau, etc.
Quant à l’habitat, il était dispersé et les paysans vivaient dans des hameaux de petite taille ou dans des fermes isolées, comme c’est encore largement le cas aujourd’hui en Bretagne. Les plus anciennes traces qu’on en a retrouvées remontent à 600 ans avant notre ère.
Comme ailleurs en Gaule, les maisons étaient faites de bois, l’espace entre les poteaux étant comblé par des branches entrecroisées, et tapissé de couches de torchis, parfois peint à la chaux. Les habitations comme les espaces réservés aux animaux étaient généralement entourés d’enclos. Il s’agissait d’écarter les intrus et de protéger le bétail contre les prédateurs comme les renards, les loups, etc.
Les réserves alimentaires familiales étaient quant à elles conservées dans des greniers sur pilotis, et surtout dans des silos souterrains, une particularité locale. On a en effet retrouvé en Bretagne, en Basse-Normandie et dans certaines zones des îles britanniques, des chambres de stockage attenantes aux maisons mais creusées dans la terre, auxquelles on accédait par des puits munis d’échelles. On y conservait les denrées mais aussi tout ce qui était précieux, comme en témoigne le collier d’or de Tréglonou, retrouvé dans un de ces souterrains.
A partir de la fin du IIIe siècle avant notre ère, le monde gaulois connaît un changement majeur : des cités souvent fortifiées, les oppidums, se développent dans des endroits stratégiques tels que les carrefours routiers, ou autour de résidences aristocratiques. Elles regroupent une bonne partie de la population, et l’on y trouve des maisons d’agriculteurs, de commerçants et d’artisans. C’est dans ces nouvelles « capitales » que se concentrent désormais les pouvoirs politique, administratif, religieux et sans doute économique, sous la houlette des familles nobles.
Les pagi, c’est-à-dire de petites principautés ou chefferies, se réunissent autour de ce centre, pour constituer de vastes territoires de la taille, grosso modo, d’un département actuel. Ce sont ainsi de véritables petits « États » qui se dessinent, en fonction de la géographie et de certaines identités culturelles sans doute très anciennes.Port
Les oppidums les plus connus sont situés à l’autre bout de la France, comme à Bibracte en Saône-et-Loire, où la capitale des Eduens se développe du IIe à la fin du Ier siècle avant J.-C. En Côte-d’Or, Alésia, la capitale des Mandubiens, est également un oppidum important entre le IIe siècle avant J.-C. et le Ier siècle après J.-C.
En Bretagne on n’a guère trouvé de sites qu’on puisse qualifier d’oppidums de façon certaine. S’il est possible qu’ils aient existé sur les côtes, par exemple au Yaudet dans les Côtes d’Armor, à Alet à l’embouchure de la Rance, ou même sur le site de la ville de Brest, on n’en a pour le moment aucune preuve. Quant au camp d’Artus, sur la commune du Huelgoat, dans le centre-Finistère, il est certes entouré de « fortifications », mais on n’en connait pas les fonctions, et il ne semble pas qu’une ville importante ait existé à cet endroit.
La société gauloise connait aussi de profonds changements dans cette dernière partie de la période de l’âge du fer. Les échanges s’intensifient entre le monde romain et les pays « barbares », et les anciennes classes guerrières laissent progressivement la place et le pouvoir à une « bourgeoisie d’affaires » qui fonde sa richesse sur le commerce.
En Armorique, les agglomérations se développent surtout sur la côte durant le siècle qui précède la conquête de César. Au nord de la péninsule, les ports des Osismes (comme celui du Yaudet en Ploulec’h) et des Coriosolites (le port d’Alet à Saint-Malo) servent de plaques tournantes pour les échanges commerciaux avec les îles britanniques actuelles. Les affaires sont facilités par le fait que les Armoricains et les Celtes d’outre-Manche parlent des langues très voisines et sont culturellement et politiquement très proches. Au sud, les ports vénètes, par exemple, sont un point d’entrée pour les produits venant du pourtour méditerranéen et d’autres régions de Gaule, comme le vin.
Si les Armoricains importent des objets de luxe et des produits comme le vin italien, déjà !, ils exportent le sel, une denrée dont la péninsule regorge et qui contribue à sa richesse, mais aussi le blé, des textiles et des métaux comme l’or et l’étain. On échange également les textiles et les objets de luxe.
Les Vénètes sont les premiers à passer du troc de marchandises au paiement en espèces sonnantes et trébuchantes, dès le IIIe siècle avant J.-C. Les Riedones et les Namnètes suivent, puis les Osismes, et enfin les Coriosolites, qui commencent à produire des statères d’argent vers 90-80 avant J.-C. Ces monnaies sont en or, en alliage, en argent ou en bronze, elles sont imitées des pièces grecques ou romaines et finement décorés de symboles empruntés à la mythologie celtique.
Le panthéon des Celtes de l’Antiquité est très riche et très complexe, et nous n’en connaissons que des bribes : chaque lieu, chaque groupe possède son dieu protecteur ! Une multitude de divinités gravitent ainsi autour de quelques dieux communs principaux, dont Lug, Teutatès (bien connu des lecteurs d’Astérix…), Taranis, Epona, etc.
Ils croient en l’immortalité de l’âme et en la présence dans l’environnement d’esprits vénérables. Les sites tels que les sommets, les lacs, les sources, les chaos de rochers et les forêts peuvent être autant de lieux de culte. Ces sites naturels sacrés, appelés « nemeton », ont laissé des traces dans la toponymie à travers la Gaule : c’est de ce terme que découle le nom de la ville de Nanterre, près de Paris, ainsi que le bois de Névet dans le Finistère.
Certaines de ces traditions ont survécu en Bretagne jusqu’à la période actuelle, au-delà de la toponymie. Les fontaines christianisées y sont en effet innombrables, et elles ont longtemps généré un culte fervent, qui s’apparente très certainement à ces anciennes croyances
Quant aux fameux druides, ils jouaient le rôle d’intermédiaires entre les humains et les dieux. Recrutés parmi les nobles, exemptés de service armé, ce sont des prêtres mais aussi des instructeurs et des juges. Ils sont respectés pour leur savoir, qu’il acquièrent au cours de longues d’années d’étude, durant lesquelles ils doivent mémoriser toutes les connaissances qui leur sont transmises sans passer par l’écrit, interdit pour tout ce qui relève du sacré.
Comme tous les peuples anciens, les Armoricains vénèrent leurs morts, mais la manière dont ils s’occupent de leurs défunts est différente selon les périodes. Lors de la première partie de l’âge du fer, les corps sont inhumés dans des tombes. Celles-ci sont très loin du faste des sépultures des sites de La Tène ou de l’est de la France, où l’on a trouvé quantité d’objets prestigieux. C’est le cas en particulier des tombes à char, inexistantes en Bretagne.
Plus tard, l’incinération devient courante, les cendres étant placées dans des urnes en céramique, comme dans le cimetière de Paule. Bien entendu, les pauvres reçoivent une sépulture simple, sans mobilier funéraire tandis que les plus riches bénéficient d’une urne de plus grande qualité ou d’un mobilier funéraire plus conséquent.
Aucun vestige, aucun texte, ne laisse entrevoir de véritables différences entre les Gaulois d’Armorique et leurs voisins de la façade atlantique de la Gaule. Les Osismes et les Vénètes se caractérisent cependant par l’habitude de dresser des stèles de pierre. Contrairement aux menhirs, ces stèles sont soigneusement taillées et peuvent être octogonales, cannelées, simplement coniques ou en forme de boule, et elles sont parfois ornées de motifs gravés. Elles désignent un espace sacré, voué aux morts ou à une divinité.
L’Église catholique, quelques siècles plus tard, jugera plus prudent de les faire disparaître ou de se les approprier en les surmontant de croix, et parfois en les déplaçant près des chapelles ou des églises.
Si Goscinny et Uderzo, les auteurs d’Astérix, ont situé en Armorique leur petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, ce n’est peut-être tout à fait par hasard… Dans les années 50 avant JC, les Armoricains ont effet donné du fil à retordre à Jules César. C’est par le récit qu’il fait lui-même de sa conquête de la péninsule, le célèbre « Guerre des Gaules », que nous connaissons ce fameux, mais funeste, épisode de l’histoire de l’Armorique.
Jules César entreprend de mettre la main sur l’ensemble de la Gaule en 58 avant J.-C. Il commence par s’en prendre aux Helvètes, puis il attaque les Germains, et il écrase enfin les Gaulois de Belgique. Il rentre ensuite passer l’hiver 57-56 en Italie, pendant que ses troupes hivernent dans les territoires soumis.
Il vise ensuite l’Armorique, une région importante à cause de sa position stratégique sur la côte atlantique, et aussi pour ses ressources naturelles, en particulier l’or. La péninsule est déjà occupée par des troupes romaines mais, en – 56, les Vénètes, donnent le signal de la révolte en retenant prisonniers les Romains venus réquisitionner leurs réserves de blé. Et ils s’allient avec d’autres peuples gaulois pour lutter contre l’envahisseur.
Le combat final, après plusieurs semaines de siège, est une bataille navale qui se déroule dans le golfe de Quiberon. Elle oppose la puissante flotte vénète à la centaine de navires que César a fait construire en Aquitaine. Plus hauts, plus massifs, plus rapides dans le vent que les galères romaines, les navires armoricains auraient dû triompher sans peine.
Mais le vent tombe et ils se retrouvent immobilisés. Les galères ennemies peuvent alors s’en approcher à la rame et couper les cordages de leurs voiles à l’aide de faux emmanchées sur de longues perches. Ils passent ensuite à l’abordage et exterminent les équipages. Au coucher du soleil, la flotte des 220 navires de la coalition est complètement détruite et les Vénètes sont vaincus. César fait exécuter tous les membres de leur Sénat et une bonne partie de la population est réduite en esclavage.
L’Armorique connait encore quelques soubresauts de rébellion ici ou là, qui se soldent tous par des échecs. Puis les Gaulois de la péninsule font une dernière tentative en 52 avant J.-C., en envoyant un contingent de 20.000 hommes au secours de Vercingétorix, assiégé dans Alésia. Mais comme on le sait, là encore les troupes gauloises sont battues par les Romains.
En -51 César mène encore des campagnes contre les dernières poches de résistance. Un ultime grand soulèvement se tient dans le sud-ouest de la Gaule, mais les rebelles sont écrasés au terme du siège d’Uxellodunum, dans le Lot actuel. Les survivants sont violemment châtiés afin de dissuader quiconque de se rebeller à nouveau : leurs mains sont coupées ou ils sont réduits à l’esclavage.
La soumission de l’ensemble de la Gaule est donc effective en 51 avant J.-C. A l’ouest aussi, la messe est dite : les Armoricains sont vaincus, les guerriers sont décimés et les corps politiques anéantis. Ils n’ont plus les moyens de résister à l’ennemi et c’en est fini de leur indépendance. La péninsule vient de basculer dans une nouvelle phase de sa longue histoire.
La victoire militaire n’assure cependant pas une assimilation immédiate, loin s’en faut. Il est vrai que les Romains sont occupés ailleurs dans un premier temps, car les guerres civiles sont récurrentes à Rome jusqu’en 31 avant notre ère. C’est finalement Auguste, empereur à partir de l’an 27 avant J.-C., qui va réorganiser l’empire en profondeur. La romanisation progresse ainsi du sud vers le nord et l’ouest, au fur et à mesure de l’avancée des voies romaines : l’administration se met en place, de grandes propriétés rurales (villae) émergent et des villes sont construites. Mais l’Armorique est bien loin et l’évolution y est plus lente.
La première chose à faire pour intégrer les peuples conquis dans l’empire est donc de construire des routes, qui finissent toutes par mener à Rome, d’une manière ou d’une autre. Le plan routier romain comporte ainsi plusieurs grands axes est-ouest, des « pénétrantes » reliées au reste du réseau gaulois :
Une voie au sud (qui n’est pas sans rappeler la RN 165 actuelle !)
Un axe central (proche de la RN 164 que nous connaissons)
Une voie qui part en diagonale, de Nantes à Vorgium et jusqu’à l’Aber Wrac’h dans le nord-Finistère.
Elles sont ponctuées de bornes milliaires en pierre, distantes entre elles de 1,482 kilomètres.
Les ingénieurs envoyés par Rome reprennent souvent le tracé des chemins gaulois existants. Ils en font des voies larges de 5 à 8 mètres, constituées d’une succession de couches de sable et de pierres. Elles ne sont pas toutes droites comme le veut la légende, car elles contournent en fait les obstacles, dans la mesure du possible. En particulier, elles évitent les profondes rias qui entaillent le littoral armoricain. Ces sites à proximité de la côte sont à l’origine du développement de plusieurs cités bretonnes comme Quimper, Morlaix, Landerneau, Vannes, etc.
Le travail est rapide, puisque l’essentiel du réseau est en place dans la première moitié du premier siècle après J.-C. Ces routes seront utilisées jusqu’au XVIIIe et même XIXe siècle ! Des parties de certaines d’entre elles sont encore visibles aujourd’hui, comme celle reliant Nantes à Rennes, par exemple, sans compter les ponts aqueducs édifiés pour l’approvisionnement en eau, qui font encore partie de nos paysages.
Les voies romaines ont une vocation stratégique au sens large : elles favorisent les échanges (commerciaux, humains, et des idées), elles renforcent ainsi l’intégration de la Bretagne à l’Empire. La voie romaine est donc fondamentalement un instrument de domination, qui intègre les nouvelles régions au réseau administratif, politique et économique de l’Empire.
Pour parachever l’intégration des régions conquises, il restait à construire des villes sur le modèle des villes romaines. Les décennies qui suivent la conquête voient donc de nouvelles villes apparaître ex nihilo, comme Rennes ou Nantes. Ces villes se développent et deviennent des centres administratifs, commerciaux et culturels. On y trouve un forum, des temples dédiés aux dieux romains, des édifices publics pour l’administration, des thermes et des théâtres. Le tout est agrémenté de statues de divinités, généralement une fusion des dieux romains et des dieux gaulois, ainsi que des statues d’empereurs romains, qui témoignent de la volonté de romaniser l’Armorique, comme le reste du territoire conquis.
Vorgium est un bon exemple de ville nouvelle de l’époque, implantée sur le site actuel de la ville de Carhaix. C’est une situation centrale dans la région des Osismes, à proximité d’un cours d’eau, l’Hyères, un affluent de l’Aulne.
La construction démarre probablement sous le règne d’Auguste, vers 15 avant J.-C., et s’étale sur plusieurs décennies. Comme pour toutes les villes romaines, les architectes adoptent un plan articulé autour de deux voies principales qui se coupent à angle droit, que l’on retrouve dans le plan de la ville d’aujourd’hui.
L’édifice le plus spectaculaire est l’aqueduc, fruit de travaux très importants et très coûteux : il compte une branche longue de 27 kilomètres, un tunnel de 900 mètres et un pont de 120 arches ! Il n’en reste pas grand-chose aujourd’hui, l’ensemble ayant servi de carrière au Moyen Âge.
Le chantier de construction génère une quantité d’activités qui fournissent du travail, et donc des revenus, aux Gaulois des alentours. Ils apprennent de nouveaux métiers, de nouvelles techniques, de nouvelles coutumes, et ils doivent se familiariser avec une nouvelle langue, le latin. La ville est bien une vitrine de la romanisation.
Avec la croissance de ces villes romaines, c’est aussi tout un système économique qui se met peu à peu en place : les campagnes alimentent les marchés urbains en produits de l’élevage et de l’agriculture, et en produits artisanaux. Les Gaulois des campagnes sont ainsi en contact avec la civilisation romaine, et en situation de dépendance vis-à-vis de la ville dont ils tirent une part de leurs ressources.
La romanisation passe par l’assimilation des élites, selon un phénomène bien connu de la collaboration des classes dominantes avec les vainqueurs. Tous n’ont pas fait ce choix, mais on se souvient que César, en – 56 avant J.-C., a fait massacrer tous les nobles Vénètes qui s’étaient rebellés. Difficile de s’opposer dans ces conditions.
Il est vrai aussi que les Gaulois aisés, ceux qui descendent le noblesse locale, ont tout à gagner du nouveau régime : d’abord, ils participent à l’administration de la cité dans le cadre d’une large autonomie, et beaucoup deviennent même citoyens romains ; ils peuvent par ailleurs gravir les échelons de la « carrière des honneurs », comme à Rome, ce qui leur confère du pouvoir et assoit leur domination sur le petit peuple ; et puis, l’adoption de l’art de vivre romain leur apporte confort et prestige.
Les membres de l’élite locale, riches Armoricains ou étrangers installés dans la péninsule, s’adaptent donc très bien et leur mode de vie et de consommation ne diffère en rien de ceux des Romains d’Italie ou de Tunisie.
Les archéologues ont ainsi retrouvé des villas, c’est-à-dire des domaines ruraux importants, comprenant des maisons parfois luxueuses, mais aussi des ateliers artisanaux de forge, de poterie, etc., et de grandes surfaces de terrains agricoles. Leurs propriétaires n’étaient pas des Romains parachutés en Armorique, des colonisateurs, mais les descendants des gros propriétaires fonciers gaulois. Dans certaines de ces maisons, on a découvert des mosaïques et des bains publics, qui montrent que le luxe romain arrivait bien jusqu’à l’Armorique.
Les Romains n’ont donc absolument pas bouleversé l’ordre social existant, les nobles locaux ont conservé leur rang. Ces élites romanisées, notables et propriétaires terriens, détiennent donc le pouvoir. Mais pour le reste, les populations paysannes, qui représentent au moins 90% de la population, continuent de mener une vie difficile. Enfin, la société romaine, comme la société gauloise, pratique l’esclavage et rien ne change donc sur ce plan quand la péninsule passe sous la domination de Rome.
Il semble que la romanisation se soit déroulée pacifiquement et que l’Armorique s’intègre paisiblement dans l’empire. Durant près de trois siècles de « pax romana » une partie de la population bénéficie ainsi d’une certaine prospérité.
Le commerce se développe, par les voies romaines, par la Loire, et par les ports de la côte sud, Vannes et Nantes. On importe des produits parfois très lointains : toujours le vin et les poteries, mais aussi l’huile, le marbre, etc. Et l’on exporte différents objets et denrées, tels que des textiles, des objets de métal de qualité, du poisson. Le sel, surtout, devient une ressource stratégique et de nombreuses salines se développent le long des côtes. On fabrique aussi beaucoup de garum, un condiment indispensable à la cuisine romaine, élaboré à partir de poisson macéré dans du sel.
Sur le plan linguistique, le latin commence à se diffuser, mais de manière limitée. Il demeure d’abord la langue des élites, comme en témoignent plusieurs inscriptions en gaulois : l’une figure sur une tuile datée du Ie siècle et l’autre a été gravée au IIIe ou IVe siècle sur une stèle initialement de l’âge du fer, trouvée à Plumergat dans le Morbihan. Si les élites ont bien adopté le latin, le petit peuple rural semble n’avoir jamais véritablement abandonné la langue gauloise.
Reste la question religieuse. Les Romains n’imposent qu’un interdit, les sacrifices humains, et qu’une obligation, le culte de Rome et de l’Empereur ! Pour le reste, le culte des dieux romains se mêle à celui des Gaulois, et les uns et les autres trouvent des correspondances entre leurs nombreux dieux respectifs : Lug/Mercure, Taranis/Jupiter, Teutatès/Mars, etc.
Cette tolérance des Romains, et la capacité d’adaptation des Gaulois armoricains expliquent peut-être leur peu de résistance à l’assimilation culturelle, tout au moins en ce qui concerne les élites.
La péninsule est donc largement intégrée à l’empire romain en quelques siècles, même si elle conserve ses spécificités. Mais l’empire connait à son tour des difficultés, dès la seconde partie du IIIe siècle de notre ère, après la mort du jeune empereur Gordien III en 244. Des peuples germaniques profitent de l’affaiblissement du pouvoir central romain pour sévir sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique. Les crises politiques s’enchaînent en Armorique, et de nombreuses villes déclinent, comme Vorgium, quand elles ne sont pas détruites ou abandonnées. On a d’ailleurs retrouvé nombre de « trésors », des milliers de pièces de monnaies de l’époque, enterrées par leurs propriétaires pour les mettre à l’abri en cette période d’incertitudes et… jamais récupérées !
La stabilité politique de l’empire est plus ou moins retrouvée au début du IVe siècle, mais les pirates germaniques (Frisons, Saxons et Francs) continuent de piller l’Armorique. C’est alors le peuple qui se rebelle, lors des fameuses bagaudes, ces révoltes populaires qui réunissent des paysans et des artisans ruinés, des soldats déserteurs, des esclaves en fuite et tout ce que la société peut compter de laissés pour compte. Pillages des Germains et brigandage des bagaudes ont tôt fait de dévaster le pays : les cultures reculent, la forêt reprend ses droits.
Quant au pouvoir central romain, il ne se montre pas pressé de défendre les parties de son empire qui sont soumises aux attaques des « Barbares d’au-delà du Rhin », et les habitants des différentes provinces se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes. C’est ainsi que, vers 409-410, les Armoricains, comme les peuples de l’île de Bretagne et comme d’autres peuples gaulois, décident de prendre en mains leur propre défense et de faire sécession.
Dans le même temps, des Bretons d’outre-Manche commencent à s’implanter en Armorique, à partir de la fin du Ve siècle, et l’arrivée de ces nouvelles populations ouvre une nouvelle page de l’histoire de la péninsule.