Jean IV de Bretagne
le cygne
La bataille d’Auray, en 1364, met fin à 23 ans de guerre civile en Bretagne. Jean de Montfort devient officiellement duc de Bretagne et règne 35 ans. Il affermit le pouvoir ducal et joue de diplomatie dans un contexte d’hostilité croissante entre Français et Anglais : les uns et les autres veulent en effet contrôler le duché...
L’histoire de Jean de Montfort, qui deviendra le duc Jean IV, démarre par une situation familiale complexe, comme c’est souvent le cas au sein de l’aristocratie. En particulier dès lors qu’il est question de succession…
Le duc Jean III de Bretagne meurt en 1341 sans laisser de descendant ni de successeur désigné. Démarre alors une période conflictuelle :
Les deux partis s’affrontent par les armes.
Puis Jean de Montfort meurt à son tour, dès 1345.
Son fils Jean est alors proclamé duc, à l’âge de 6 ans. Mais les hostilités se poursuivent durant près de deux décennies entre les deux camps, Penthièvre et Montfort. Et c’est finalement en 1364 que le jeune Jean IV triomphe de ses adversaires à la bataille d’Auray. L’année suivante est signé le traité de Guérande, qui le reconnait seul duc de Bretagne. Il a alors 26 ans.
Suite à la guerre civile, Jean IV s’attache à rétablir le pouvoir ducal. Il s’impose à tous les grands seigneurs du duché en mettant en place des institutions durables. Celles-ci sont le fondement d’un État breton autonome vis-à-vis des deux puissances du temps, l’Angleterre et la France, qui s’affrontent dans une interminable guerre de Cent Ans.
Mais la présence pesante en Bretagne de troupes anglaises qui tiennent plusieurs places fortes, et le projet d’alliance avec Édouard III d’Angleterre, ne sont pas du goût de tous : certains grands seigneurs bretons préfèrent rallier le roi de France. C’est ainsi qu’Olivier de Clisson et Bertrand Duguesclin pénètrent en Bretagne à la tête de troupes du roi pour contrer le débarquement de 4 000 soldats anglais près de Saint-Malo.
Le duc doit partir en exil en Angleterre en avril 1373.
Le roi de France profite de l’exil anglais du duc de Bretagne pour placer le duché sous la responsabilité du duc d’Anjou. De son côté, Jean IV participe à plusieurs campagnes militaires en France avec les Anglais. Il est accusé de crime de lèse-majesté par le roi Charles V, qui le frappe de déchéance et confisque le duché en 1378.
Cette annexion brutale porte préjudice aux partisans des Montfort tout comme aux partisans des Penthièvre, qui pouvaient prétendre à la couronne de Bretagne en l’absence d’héritier mâle du côté de Jean IV. Une ambassade bretonne rejoint Londres pour demander au duc de revenir.
Le duc Jean IV débarque ainsi triomphalement le 3 Août 1379 à Dinard et reprend le contrôle du duché.
En 1381 un second traité de Guérande le confirme dans ses prérogatives. Il s’engage à une politique de neutralité envers les souverains anglais et français.
Jean IV n’aura de cesse jusqu’à la fin de son règne de renforcer l’autonomie bretonne en exploitant la rivalité franco-anglaise et en pratiquant une politique de bascule de l’un à l’autre.
Il donne des gages aux Français : il épouse Jeanne de Navarre, fille de Charles III de Navarre et Jeanne de Franc, et prête un hommage simple au roi de France. En 1397, il met fin à l’occupation du port de Brest par les Anglais.
En même temps, il conclut une alliance avec Richard II d’Angleterre et récupère le comté de Richmond près de Londres.
Cette politique de neutralité profite au commerce naval breton, florissant à cette époque.
Le duc consacre les deux dernières décennies de sa vie à mettre sur pied un véritable État breton, à travers un certain nombre de mesures et une organisation ad hoc.
Il règle les questions de concurrence à la tête du duché en consolidant son pouvoir sur les grands féodaux de Bretagne. Il fait même la paix avec Olivier de Clisson en 1396.
Le duc assure aussi sa postérité en ayant sept enfants avec Jeanne de Navarre ! Cette nombreuse descendance lui permet de mettre fin aux prétentions de la maison de Penthièvre, dont il confisque les terres.
Jean IV met par ailleurs en place une machine administrative centralisée. Les finances du duché sont contrôlées par la toute puissante Chambre des comptes. Il s’entoure d’un conseil d’où il exclut progressivement les Anglais. Le chancelier et le trésorier général de Bretagne deviennent les personnages clés de ce dispositif.
C’est au château de l’hermine à Vannes que Jean IV installe ses institutions. Sa politique de prestige est marquée par la monnaie ducale frappée d’un Dei Gratia (Par la grâce de Dieu) qui le place au même niveau que les rois. Il signe de sa main, à l’instar des rois de France, d’Espagne ou d’Angleterre, les principaux documents diplomatiques et financiers du duché : De par le duc ou Passé par nostre main le duc a mere fermeté.
Autre élément de prestige, il crée l’ordre de l’Hermine en 1381 pour s’assurer la fidélité de ses partisans et partisanes. L’ordre est en effet ouvert aux femmes, un fait plutôt rare à l’époque.
Quand son fils Jean V lui succède en 1402, lors d’un couronnement fastueux à Rennes, il hérite d’un exceptionnel potentiel politique, administratif, financier et diplomatique dont il fera l’âge d’or de la Bretagne ducale.
Le cygne était une des figures emblématiques du roi d’Angleterre Edouard III, qui accueillit le duc Jean IV, quand il fut chassé par le clan français en 1373.
Publiée en 1846 par Hersart de la Villemarqué dans son Barzaz Breiz (« Recueil de poèmes de Bretagne »), An Alarc’h (Le Cygne) était considéré jusqu’à récemment comme un chant inventé. Il n’en est rien puisqu’il se trouve bien dans les carnets de collecte de l’auteur. Il a même été mis en ligne en 2018 sur le site des archives du Finistère.
Le manuscrit raconte le retour triomphal d’exil du duc en 1389. Il vient reprendre son duché, confisqué par le roi de France.
An Aotrou Yann zo ur paotr mat,
Ker prim e droad hag e lagad
« Le Seigneur Jean est notre orgueil,
Il a toujours bon pied bon œil »
L’ennemi est donc le français, Mallozh ruz d’ar C’hallaoued (« Malheur rouge aux Français ») et celui qui commande les troupes françaises, le Breton Duguesclin, qualifié de trubard (traître).
Les accents guerriers du chant rendent l’ambiance de l’époque :
Skrignal a ra bleizi Breizh-Izel,
O klevout embann ar brezel
O klevout ar you e yudont
Gant c’hwezh ar c’hallaoued a reont
« Les loups de Basse-Bretagne ricanent
en entendant le ban de guerre !
En entendant les hourras
et l’odeur des Français, ils hurlent ! »
La tradition populaire apporte donc à l’histoire cette petite épice qui manque souvent aux textes arides des chancelleries.
Sur Jean IV
Sur l’histoire des ducs
Sur le chant An Alarc’h
Théodore Hersart de la Villemarqué, Deuxième carnet de collecte, site du CRBC Brest, lire en ligne
Laurent Hablot, « Emblématique et mythologie médiévale, le cygne, une devise princière », dans Histoire de l’art, 2001, N°49, pp. 51-64.