Sébastien le Balp
meneur des Bonnets rouges
En 1675, la Bretagne se révolte contre Louis XIV. Cette fronde antifiscale est également dirigée contre la noblesse. Dans le centre Bretagne, les insurgés se coiffent d’un bonnet rouge et sont menés par un ancien notaire de Kergloff : Sébastien Le Balp.
Sébastien Le Balp, fils de meunier, est né en 1639 au Moulin Meur, en Kergloff, près de Carhaix dans le Finistère. Intelligent, il est remarqué par le seigneur de Ploeuc, propriétaire du manoir du Tymeur en Poullaouen, qui lui assure une première instruction. Il lui finance également des études de droit à Nantes.
Revenu dans le Poher, Sébastien Le Balp épouse en 1661 à Anne Riou, dont la dot lui permet d’acheter une charge de notaire à Carhaix. Il gère notamment des affaires pour Renée-Mauricette de Ploeuc, dame du Tymeur et fille de son protecteur. Tous deux se connaissent depuis l’enfance et semblent avoir été très proches.
En 1662, la dame du Tymeur épouse Charles de Percin, seigneur de Montgaillard, un ancien militaire. Mais en 1688, une affaire éclate : Le Balp aurait falsifié des documents pour le compte de son amie et cliente, Renée-Mauricette de Plœuc, épouse de Percin. Seul le notaire est condamné. Il est même emprisonné en 1673, mais il est relâché au début de cette année 1675, qui va être si agitée en Bretagne.
La grogne, comme souvent, vient de l’annonce de nouveaux impôts : pour financer les guerres de Louis XIV, son ministre Colbert doit en effet trouver de nouvelles recettes. En 1674, il décide par conséquent de créer des impôts sur le papier timbré (nécessaire aux actes notariaux), le tabac et la vaisselle d’étain. La révolte du papier timbré démarre en avril 1675 dans les grands villes, puis s'étend aux bourgs et aux campagnes de Basse-Bretagne.
Au début de l'été, c'est Carhaix et le Poher qui s'enflamment. Les insurgés arborent un bonnet rouge en signe de reconnaissance. Ils brûlent quelques châteaux, dont celui de Kergoat en Saint-Hernin, qui est pris d'assaut le 11 juillet par 6 000 hommes venus d'une vingtaine de paroisses du secteur. Des nobles et des agents du roi sont molestés. La personnalité qui s'impose parmi les révoltés du Centre-Bretagne n'est autre que l'ancien notaire Sébastien Le Balp.
Début septembre, le tocsin résonne dans les campagnes du Poher pour tenter de rassembler 30 000 hommes en armes. Le 2 septembre, accompagné de 2 000 insurgés, Sébastien Le Balp se rend au Tymeur. Son intention est de parlementer avec le seigneur Montgaillard, qu’il voudrait rallier à sa cause et convaincre de prendre le commandement les troupes insurgées. Mais le frère du seigneur sort son épée et blesse mortellement Le Balp à la gorge. En représailles, les insurgés pillent le Tymeur et brûlent une partie des archives.
Les rebelles se dispersent, tandis que les troupes de Louis XIV arrivent en Bretagne. La répression sera sévère.
Quant à Sébastien Le Balp, on ne lui permettra pas de reposer en paix : quelques semaines après sa mort, un juge ordonne que son corps soit déterré. Un procès est organisé, puis le cadavre, déjà bien décomposé, est trainé sur une claie, rompu et exposé sur une roue ! Son corps est ensuite enterré dans le cimetière de Kergloff, tandis que son crâne serait conservé dans la chapelle de Saint Drezouarn, située dans la même paroisse. Cet épisode dramatique fait de lui une figure de l'histoire de Bretagne.
Les troupes de Louis XIV, menées par le duc de Chaulnes, entament une violente répression au mois d'août. Ils commencent par Quimper, puis se rendent dans le Poher, où ils restent deux semaines, avant de partir mater les contestataires du Trégor. Ils ne rencontrent pas de résistance structurée et n'ont pas de mal à trouver les anciens insurgés. Partout des dizaines d'hommes sont capturés. Les moins impliqués sont condamnés à la prison, à l'exil ou aux galères. Les autres sont aussitôt pendus publiquement pour l'exemple.
Les révoltes de 1675 sont terminées, mais leur souvenir perdure. Le tricentenaire de l’insurrection, en 1975, fournit une occasion de redécouvrir la figure du rebelle Sébastien Le Balp, tandis que les travaux d’un historien soviétique, Boris Porchnev, remettent en lumière les Bonnets rouges.
Louis XIV, le roi absolu, guerrier et dépensier, aura connu le plus long règne de l’histoire de France ! On en retient un dispendieux château à Versailles, des guerres ruineuses, la centralisation du pays, l’absolutisme politique…
Le jeune Louis monte sur le trône en 1643, à l’âge de 5 ans, et il est sacré en 1654. Ses 72 ans de règne sont marqués par une succession de guerres menées contre nombre d’autres pays européens.
A peine en a-t-il terminé avec la guerre dite de Dévolution dans les Pays-Bas espagnols (1667-1668) que le monarque s’embarque en 1672 dans un conflit contre la Hollande. Il franchit le Rhin pour envahir les Provinces-Unies, pensant mettre rapidement à genoux cette petite république protestante. Mais le dirigeant néerlandais, Guillaume d’Orange, bloque les troupes françaises et parvient à retourner la situation diplomatique. En quelques mois, la France est isolée, menacée par une grande coalition et doit se battre sur plusieurs fronts.
Il faut par conséquent trouver de l’argent pour financier l’effort de guerre. Depuis la mort de Mazarin, en 1661, c’est Colbert qui a en charge les finances. Pour poursuivre la guerre contre les Provinces Unies, il veut imposer de nouveaux impôts dans tout le royaume, y compris en Bretagne. Mais celle-ci jouit d’un statut particulier en matière fiscale que ses habitants entendent bien défendre.
Des incidents et des émeutes éclatent ainsi à partir d’avril 1675 dans les grandes villes, à Rennes et Nantes, Saint-Malo, Lamballe...
Le 9 juin 1675, le marquis de La Coste, lieutenant du roi pour la Basse-Bretagne, se rend à Châteaulin pour s’assurer de l’exécution des édits royaux sur les nouveaux impôts. L’affrontement éclate, les agents de l’administration sont molestés et de La Coste n’a la vie sauve qu’en promettant l’annulation des édits. Dans le même temps, à Edern, un château est brûlé et pillé.
La révolte s’étend à la plus grande partie de la Basse-Bretagne : Pontivy, Guingamp, Callac, Morlaix, Landerneau, Brasparts, Daoulas, Châteaulin, Douarnenez, Briec, le pays bigouden, Rosporden, Langonnet, et surtout Carhaix et le Poher, s’enflamment au début de l’été.
En quelques jours le tocsin de la révolte sonne dans toute la Bretagne. Le duc de Chaulnes quitte Rennes pour retrouver les militaires à Port-Louis. Dans le Centre-Bretagne, les insurgés sont menés par Sébastien Le Balp et ils se coiffent d’un bonnet rouge. Partout, on s’attaque aux nobles, aux notaires ou aux agents de la fiscalité royale.
Madame de Sévigné écrit ainsi à sa fille le 3 juillet: "on dit qu'il y a cinq cents ou dix cents bonnets bleus en Basse-Bretagne qui auraient bien besoin d'être pendus pour leur apprendre à parler".
Au mois de juillet aussi de met en place une initiative étonnante. Les paysans s'organisent et font rédiger, par ceux qui savent écrire, des textes où ils exposent leurs critiques vis-à-vis de l'impôt, mais aussi de la justice et des droits seigneuriaux. On les qualifie de "codes paysans", ou codes pezovat (c'est-à-dire en breton écrit contemporain, pezh zo mat, "ce qui est bon"). Un siècle avant la Révolution française, ces documents préfigurent les cahiers de doléance du printemps 1689.
Sébastien Le Balp, le meneur du Centre-Bretagne, est tué dans la nuit du 2 au 3 septembre 1675, alors qu'il tentait de rallier un seigneur local à leur cause.
Entre temps, les 6 000 hommes des troupes royales sont arrivés en Basse-Bretagne à la fin du mois d'août. Les dragons du roi ne rencontrent pas de résistance structurée et pourchassent sans mal les anciens insurgés. Les meneurs qui sont capturés sont aussitôt pendus, et le duc de Chaulnes aurait prononcé cette phrase terrible :
Les arbres commencent à se pencher, sur les grands chemins du côté de Quimperlé, du poids qu’on leur donne.
Dans le pays bigouden, plusieurs clochers sont rasés pour avoir sonné le tocsin de la révolte. En souvenir, ils ne seront jamais reconstruits.
A Rennes, où le duc de Chaulnes arrive avec ses troupes le 12 octobre, un quartier est entièrement rasé. La répression est féroce également pour les habitants des paroisses et villes révoltées : arrestations sommaires, violences et viols, contributions forcées à l’effort de guerre…
Le Parlement de Bretagne, accusé de ne pas avoir assez vigoureusement lutté contre les émeutiers rennaises, est exilés à Vannes et forcés de verser une contribution de trois millions de livres au trésor royal. Une somme colossale qui ruine la Bretagne.
La répression est enfin idéologique, avec les missionnaires du père Maunoir, envoyés « évangéliser » les campagnes rebelles et surtout enseigner la soumission à leurs habitants.
Sur la révolte des Bonnets rouges
Sur la période
Théâtre
Bande dessinée
Thierry Jigourel, Marco Pellica, Breizh, Histoire de la Bretagne, Tome 7, Les temps des révoltes, Édition Soleil, Toulon, 2021