Ermengarde d’Anjou
une sacrée duchesse !
On imagine souvent le Moyen Âge européen comme un univers très masculin, notamment les XIe et XIIe siècles. Pourtant, des figures féminines émergent, comme Ermengarde d’Anjou, flamboyante duchesse de Bretagne.
Ermengarde nait en 1067 au château d’Angers. La ville est alors en pleine expansion et elle est considérée comme l’un des foyers intellectuels de la France de l’ouest. Très tôt orpheline de mère, Ermengarde est élevée à la cour de son père, Foulques le Réchin, le puissant comte d’Anjou. Ce dernier est un combattant endurci, mais également un fin lettré, qui s’efforce de donner une bonne éducation à sa fille. Laquelle a d’ailleurs la réputation d’être une femme savante.
Ermengarde montre peu d’empressement à se marier. Il est vrai que, vu son statut et son rang, le mariage obéit avant tout à des considérations politiques et diplomatiques. Et puis, l’histoire récente des comtes d’Anjou a de quoi faire méditer la jeune aristocrate sur la condition féminine dans sa famille :
Son arrière-grand-père, Foulques Nera, avait fait brûler sa femme, Elisabeth de Vendôme, sous le prétexte d’adultère.
Son père, Foulques IV, se remarie quatre fois après le décès de la mère d’Ermengarde ! Il répudie deux de ces épouses, et enferme une troisième dans un donjon. Quant à la dernière, Bertrade de Montfort, elle est enlevée par le roi de France, venu visiter le comte d’Anjou…
En 1087, la pieuse Ermengarde épouse finalement Guillaume IX d’Aquitaine. Ce poète de langue d’Oc, guerrier intrépide, traîne aussi une solide réputation de paillard et de débauché. Le mariage est annulé au bout de trois ans, sans que l’on sache s’il a été consommé.
En 1093, Ermengarde est remariée cette fois avec Alain IV de Bretagne, surnommé « Fergent », ce qui signifierait le « parfait brave ». Trois enfants naissent de cette union et survivent.
Quelques années plus tard, en 1096, Alain Fergent participe à la première croisade. Il laisse Ermengarde diriger le duché en son absence, jusqu’en 1101. La duchesse est épaulée par Marbode, un intellectuel, évêque de Rennes, et lui aussi angevin d’origine. Ermengarde lui voue une dévotion sans borne, bien que l’ecclésiastique n’apprécie guère la compagnie des femmes.
Au retour de Croisade, les retrouvailles avec Alain Fergent ne semblent pas avoir été faciles. En 1106, en effet, Ermengarde se livre à un acte assez inouï pour l’époque : elle choisit de quitter son duché, son mari et ses enfants pour le monastère mixte de Fontevraud, près de Saumur, un monastère dirigé par le prédicateur Robert d’Arbrissel. Elle écrit même au pape pour… demander le divorce, mais le Saint-Siège refuse.
Ermengarde revient donc en Bretagne en 1108. Quelques années plus tard, en 1112, son époux Alain Fergent, malade et épuisé par ses années à la tête du duché, se retire au monastère de Redon.
La duchesse repart alors pour Fontevraud. Mais Robert d’Arbrissel décède et, déçue par l’atmosphère qui règne désormais au monastère, elle décide de revenir une nouvelle fois en Bretagne. Elle devient la conseillère politique de son fils, Conan III, dit « le Gros ».
En 1120, âgée d’une cinquantaine d’années, Ermengarde part en pèlerinage en Terre Sainte, avec son frère Foulques V d’Anjou, qui se fait remarquer par sa piété et sa vaillance. Revenue en Europe, elle s’installe à Nantes où elle continue à influencer la politique de son fils.
Elle trouve alors un nouveau directeur de conscience, Bernard de Clairvaux, le fondateur de l’ordre des cisterciens, avec lequel elle entretient une longue correspondance. Elle se fait même nonne au monastère féminin de Larrey, en Bourgogne. Mais, déçue du manque d’attention de Bernard de Clairvaux, elle préfère quitter les lieux.
A plus de 60 ans, Ermengarde part de nouveau en Terre Sainte retrouver son frère Foulques, devenu roi de Jérusalem. Elle séjourne alors au monastère de Sainte-Anne, l’un des plus beaux édifices roman de la ville sainte et le lieu de ralliement des Bretons, dont sainte Anne est la patronne.
Lassée des divisions entre les croisés, Ermengarde choisit de revenir une nouvelle fois en Bretagne en 1134. Elle continue à influencer son fils Conan, favorisant notamment l’implantation et le développement de monastères cisterciens, comme à Buzey ou à Langonnet.
La duchesse s’établit enfin à Redon où elle devient béguine, c’est-à-dire qu’elle vit dans une communauté religieuse sans prononcer ses vœux définitifs.
Elle s’éteint le 1er juin 1147 à près de 80 ans, et repose finalement auprès de son époux, Alain Fergent.
Ermengarde a connu plusieurs directeurs de conscience, comme c’était souvent le cas des femmes pieuses du Moyen Âge. Le premier d’entre eux s’appelait Robert d’Arbrissel, un personnage particulièrement intéressant.
Robert nait aux alentours de 1050 au petit village d’Arbrissel, dans le pays des Marches de Bretagne, à l’est de Rennes. Son père, Dumalioch est curé d’Abrissel et vit avec sa femme, Orguend. L’église romaine tolère encore les mariages au sein du clergé séculier.
Après avoir suivi des études religieuses, Robert prend la suite de son père et semble avoir également pris épouse. Il est proche de Sylvestre de la Guerche, évêque de Rennes, un moment destitué, en 1078, pour être devenu évêque avant d’être ordonné.
Compromis dans l’affaire, Robert s’exile à Paris où il parfait sa formation en théologie. Son professeur est sans doute Anselme de Laon, l’un des grands philosophes de son temps qui, plus tard, s’opposera à un autre Breton, le fameux Abélard.
Appelé à Rennes par Sylvestre de la Guerche revenu en grâce, Robert d’Arbrissel fait son retour en Bretagne en 1089 avec un titre de docteur en théologie et les dignités d’archiprêtre. Il est chargé de défendre la réforme grégorienne (qui, entre autres, renforce le rôle du pape et impose le célibat des prêtres) dans l’évêché.
En 1093, il se rend à Angers, la capitale des puissants comtes d’Anjou. Il fait vœu de pauvreté et part vivre en ermite dans la forêt de Craon
Il se distingue par ailleurs par des prêches fougueux. Le pape Urbain II, qui vient de lancer la première croisade, le rencontre à Angers en 1099. Il décèle vite ses talents d’orateurs et le nomme prêcheur apostolique.
C’est à cette période qu’il s’installe à Fontevraud où il fonde un monastère double, accueillant aussi bien des femmes que des hommes, là encore sans distinction de classe sociale. Autant dire que cette mixité assez audacieuse pour l’époque, scandalise…
Rapidement, le monastère se développe, attirant plusieurs centaines de moniales. Parmi elles, on trouve des personnalité illustres, comme la duchesse Ermengarde de Bretagne, qui sera l’une de ses fidèles soutiens. Robert d’Arbrissel se permet même de visiter seul certaines moniales dans leur cellule afin de discuter théologie !
Il meurt en 1116 ou 1117 et est enterré dans le chœur de l’abbatiale de Fontevraud. Ses audaces théologiques et philosophiques, notamment la place qu’il accordait aux femmes, expliquent sans doute qu’il ne fut jamais canonisé. Il porte cependant le titre de bienheureux.