Anne de Bretagne
la duchesse deux fois reine
Marquée par les épreuves et un destin hors du commun, Anne de Bretagne a été une fine politique, dans une Europe à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance. Toujours attachée à son duché, dont elle a vaillamment défendu le statut, elle demeure la plus célèbre Bretonne de l’histoire.
Anne est encore une enfant lorsque son père, le duc François II, décède en 1488. Sa mort intervient seulement quelques mois après la terrible défaite de Saint-Aubin-du-Cormier, et la signature du traité du Verger, qui prévoit que ls filles du duc de Bretagne ne pourront se marier sans l'accord du roi de France.
Anne devient donc duchesse de Bretagne, à l’âge de 11 ans ! Dès lors, les épreuves ne vont guère l’épargner. Elles contribueront à forger un caractère étonnant et à dessiner un destin hors du commun. Entourée de conseillers fidèles et attachés aux libertés bretonnes, elle continuera sa vie durant la lutte contre les troupes françaises, conformément au vœu de son père.
A peine François II est-il décédé qu’on songe à la marier. Il faut en effet protéger le duché contre les appétits français. Son tuteur, Jean de Rieux, lui cherche un époux parmi les têtes couronnées d’Europe, et c’est finalement Maximilien d’Autriche qui est retenu. Les épousailles sont célébrées en urgence et en son absence, par procuration, en décembre 1490. Ce premier mariage ne sera jamais effectif.
Le roi de France Charles VIII n'accepte pas cette union, qui ne respecte pas le traité du Verger. Il mène donc le siège de Rennes contre la jeune duchesse de Bretagne en 1491. Seule, sans alliés capables de venir rapidement à son secours, Anne est contrainte de se rendre. Elle fait partie du butin du vainqueur, et Charles VIII l'épouse quelques mois plus tard, sans même attendre de dispense papale annulant son précédent mariage. La voilà reine de France.
La « petite Brette » n’aime pas Charles VIII, mais elle fait d’abord le dos rond et tente de tenir son rang de duchesse et de reine. Elle encaisse les brimades de ce mari plutôt frustre qui, fort heureusement, part régulièrement guerroyer en Italie. Elle enchaîne également les grossesses - une dizaine au cours de sa vie -, mais aucun enfant conçu avec Charles VIII ne survit.
Malgré son jeune âge, Anne apprend à se faire respecter. Saint-Gelais nous dit qu’elle était crainte des courtisans. Le chroniqueur Brantôme, dont une partie de la famille a servi Anne, évoque également une certaine dureté envers ses serviteurs, qu’elle sait cependant récompenser royalement lorsqu’elle est satisfaite.
On la devine peu affligée lorsque son royal époux décède en 1498 d’un stupide accident dans leur château d’Amboise. Charles VIII aurait glissé et se serait cogné la tête dans un escalier. Anne a 21 ans. Elle est déjà veuve.
Elle se remarie au successeur de Charles, Louis XII, dès 1499. Fait unique dans l’histoire de France, elle exigera d’être sacrée reine de France une seconde fois à Saint-Denis.
Ce mariage est certes une obligation politique, mais il semble qu’il y ait mieux fonctionné que le précédent. Il faut dire qu’avant d’être roi de France, Louis a été un aristocrate frondeur, un temps réfugié à la cour du duc de Bretagne pour lequel il a combattu contre Charles VIII.
Louis XII se montre beaucoup plus respectueux des droits de son épouse et de la Bretagne. Le temps des humiliations est passé. Anne rétablit une certaine forme de souveraineté pour son duché, qui dispose de ses propres institutions, et dont elle va désormais gérer directement les affaires. Les Bretons qui lui sont restés fidèles dans les épreuves se voient récompensés.
Elle peut aussi se montrer particulièrement rancunière. En 1506, elle obtient la condamnation de Pierre de Rohan, pourtant maréchal de Gié. Elle exècre en effet sa famille, qui a trahi les intérêts du duché. Anne n’hésite pas à utiliser la corruption, l’intimidation et son accès privilégié au roi contre lui. « Elle estoit prompte à la vengeance et pardonoit malaisément », commente sobrement Brantôme.
Catholique fervente, elle nomme elle-même des ecclésiastiques de confiance à la tête des évêchés bretons. C’est en duchesse souveraine qu’elle correspond avec les papes de son époque, envers lesquels elle multiplie les signes de ferveur et de fidélité, même lorsque ceux-ci appartiennent à la famille des Borgia.
Loin d’être la pauvre « duchesse en sabot » décrite plus tard, Anne de Bretagne est en fait une fine politique qui a su renégocier les clauses de son contrat de mariage. Il y a, chez elle, du Prince de ce Machiavel qu’elle probablement rencontré.
Elle essaie ainsi vaillamment de prévoir sa succession, espérant encore que la Bretagne pourra un jour retrouver sa liberté. Mais seules deux filles survivent de ses multiples grossesses, alors qu'il faudrait un héritier masculin pour restaurer un État breton indépendant. Ses filles Claude et Renée sont certes ses héritières, mais c'est bien le roi de France qui décide qui elles peuvent épouser. Et le roi Louis choisit son propre héritier, François d'Angoulême, le futur roi François Ier. Anne s'oppose au choix de son mari, mais sans succès. Et en effet, François Ier finira par annexer le duché en 1532.
Anne de Bretagne décède le 9 janvier 1514, vers 6 heures du matin, dans la chambre du donjon du château de Blois. Elle n’a que 37 ans et s’éteint au terme d’une vie particulièrement dense. Mais tous ses efforts pour séparer le destin de la Bretagne de celui de la France ont échoué.
Ses obsèques, en janvier et février 1524, vont durer trente-neuf jours, un événement politique, symbolique et culturel sans précédent. Anne sera enfin enterrée dans la nécropole royale de Saint-Denis, comme tous les souverains français.
Elle était née en 1477, au Moyen Âge, dans un duché de Bretagne indépendant et prospère. Elle meurt reine de France, en 1514, dans une Europe de la Renaissance où se multiplient prouesses artistiques, découvertes géographiques et avancées scientifiques.
Réputée savante, amie des lettres et des arts, Anne a également le souci de la postérité. Elle finance plusieurs ouvrages historiques sur la Bretagne (Le Baud, Bouchart, De Belges) qui contribuent à alimenter une flamme souverainiste, ravivée par Bertrand d’Argentré à la fin du XVIe siècle.
Dès cette époque, la mémoire populaire commence à l’idéaliser. A partir du XVIIe, on lui consacre de nombreux récits, romans, pièces de théâtre et, surtout, chansons populaires. Dans le cœur des Bretons, le « temps de la duchesse Anne » devient celui d’une époque mythique, mêlant rêves de prospérité et de liberté. Et la plupart des villes de Bretagne conservent une « maison de la duchesse Anne » en souvenir de son tro Breizh (« tour de Bretagne ») triomphal, en 1505.
Après son trépas, la reine est soumise à une toilette mortuaire et aux différentes étapes de son embaumement. La dépouille est ainsi éviscérée et plusieurs organes sont prélevés. Conformément au souhait d’Anne, son cœur est mis à part afin qu’il soit rapporté à Nantes.
C’est le 17 janvier que son corps est placé dans un cercueil de plomb afin d’être transféré au bout d’un long parcours jusqu’à la nécropole royale de Saint-Denis.
Le lendemain 18 janvier, près de 1 700 pleurants l’accompagnent jusqu’à la collégiale Saint-Sauveur de Blois, suivis des grands du royaume et des officiers de la reine. Puis le convoi mortuaire quitte Blois et fait halte chaque soir dans différentes cités qui l’accueillent à leurs frais. Les cérémonies les plus fastueuses ont lieu le 14 février, lorsque la dépouille royale entre dans Paris et fait une station à Notre-Dame. Entre 12 000 et 13 000 personnes se pressent sur le trajet. La dépouille arrive enfin à Saint-Denis le 17 février.
Au total, ce sont plusieurs centaines d’offices religieux qui sont donnés pendant 74 jours.
De nombreux documents sur ces funérailles montrent qu’elles ont été exceptionnelles par leur coût, entre 44 000 et 60 000 livres de l’époque. Leur faste et leur symbolique illustrent la volonté de la couronne française de favoriser le processus d’annexion d’une principauté alors prospère, dont l’importante flotte maritime allait constituer un atout certain.
Le corps d’Anne de Bretagne repose donc désormais dans la nécropole des rois de France, au sein de la basilique de Saint-Denis. Elle y sera suivie par son royal époux, Louis XII, décédé exactement un an plus tard, en janvier 1515.
Leur gendre François Ier fait réaliser peu après un tombeau monumental en leur honneur. On peut encore découvrir ce majestueux mausolée d’Anne de Bretagne et Louis XII dans la basilique de Saint-Denis. (mettre photo)
Quelque temps avant la mort d’Anne, Bretaigne, le héraut d’armes de la duchesse, indique qu’elle « commanda, pria, octroya et accorda que son cœur eust été porté en son pays et duché de Bretaigne, mys et enterré en sa cité et ville de Nantes avec ses père et mère ; duquel cœur elle faisait présent à ses Bretons, comme à ses bons amys et subjectz ».
Le superbe tombeau qu’elle avait fait édifier pour ses parents – aujourd’hui dans la cathédrale de Nantes – est ouvert pour accueillir son cœur placé dans un superbe reliquaire.
En 1727, Gérard Mellier, maire de Nantes fait ouvrir le tombeau, et l’on y redécouvre le cœur d’Anne, enfermé dans trois coffrets. La pièce d’orfèvrerie a probablement été réalisée par des artisans à Blois. Il se compose d’une boite en forme de cœur, constituée de valves en tôle d’or, réunies par une cordelière également en or qui dissimule les jointures.
Ce reliquaire connaîtra moult vicissitudes, dont un vol en avril 2018, mais il est toujours visible au musée Dobrée à Nantes.
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