Nominoë
le "père de la Bretagne"
C’est au IXe siècle qu’est créé en Bretagne un véritable royaume indépendant, reconnu comme tel par les Francs, qui connaîtra plusieurs souverains. Nominoë se taille un nom dans l’histoire pour être celui qui unifie la Bretagne, avant que son fils et successeur Erispoë ne prenne officiellement le titre de roi.
Le terme de "roi" revêt une signification variable selon les lieux et les époques. Et au haut Moyen Âge, en Bretagne, il n'a pas grand-chose à voir avec le sens qu'on lui donne aujourd'hui. Le terme désigne alors un chef communautaire, disposant d'une autorité sur un territoire plus ou moins important.
Ainsi, dès le VIe siècle, des "rois" sont signalés en Bretagne, certains légendaires, comme Gradlon (qui règne sur la non moins légendaire cité d'Ys), et d'autres plus réels, comme par exemple le roi Waroc'h. Mais l'histoire officielle n'a pas retenu ces figures comme étant de véritables rois, car ils régnaient sur des territoires limités, et n'étaient pas reconnus comme tels par leurs puissants voisins, les Francs.
Au début du IXe siècle, l’empereur Louis Le Pieux, fils de Charlemagne, tente d’imposer sa domination sur la péninsule. Il combat et vainc Morvan Lez Breizh, roi des Bretons de Cornouaille. En 818, probablement à Carhaix (anciennement Vorgium), il obtient la soumission des chefs bretons. Et il ordonne l’alignement de l’Église locale, alors de rite "celtique", sur les règles du continent.
Pour obtenir une soumission durable des turbulents Bretons, l’empereur carolingien se dit sans doute qu’ils accepteront plus facilement l’un des leurs comme dirigeant. Il repère un certain Nominoë, que les chroniques ultérieures disent fils d’Erispoë, comte de Rennes, ou d’un paysan ayant fait fortune en découvrant un trésor enterré…
Quoi qu’il en soit, en 832, Louis Le Pieux désigne donc Nominoë comme son représentant - son missus - dans la péninsule armoricaine. Il le nomme aussi comte de Vannes, une ville qui sert alors d’interface entre les territoires francs et bretons. Nominoë reste fidèle à Louis le Pieux jusqu’à ce qu’il meure en 840.
Mais à la mort de Louis , L’Empire est partagé entre ses trois fils, dont Charles Le Chauve, qui obtient la Francie occidentale. Avec l’aide des comtes de Nantes (des aristocrates francs de la dynastie des Lambert), Nominoë se rebelle rapidement contre le nouveau roi.
En 845, il bat Charles à la fameuse bataille de Ballon, près de Redon.
Selon les Premières Annales de Fontenelle, « Les Francs étant entrés en Bretagne, engagèrent le combat avec les Bretons, le 22 novembre ; aidés par la difficulté de lieux et les terrains marécageux, les Bretons se révélèrent les meilleurs. »
Les Annales de Saint-Bertin décrivent une scène similaire : « Charles ayant imprudemment attaqué la Bretagne de Gaule avec des forces limitées, les siens lâchent pied par un renversement de fortune. »
Les années qui suivent, Nominoë poursuit inlassablement ses incursions vers l’est, mais il finit par mourir lors d’une expédition près de Vendôme, dans la Beauce, en mars 851.
Son fils Erispoë lui succède, et remporte dès le mois d’août de la même année la bataille de Jengland-Beslé qui sera, bien plus que Ballon, la victoire la plus décisive pour l’indépendance bretonne.
Comment les Bretons ont-ils pu mettre en échec à plusieurs reprises la puissante armée carolingienne qui, quelques décennies plus tôt, avait unifié une bonne partie de l’Europe sous le glaive de Charlemagne ? Utilisant les ressources du terrain, entraînant leurs ennemis dans des zones de marais, les Bretons savaient les épuiser par des manœuvres de cavalerie, et en les harcelant de javelots, avant de fondre sur eux pour les écraser.
Les historiens du XIXe siècle ont fait de Nominoë le « père de la Bretagne », Tad ar Vro, pour avoir contribué à son unification.
Nominoë n'a en revanche jamais porté le titre de roi. C’est son fils Erispoë qui sera officiellement reconnu roi par Charles le Chauve, après la bataille de Jengland et le traité d’Angers qui en découle en 851. Ce traité confirme par ailleurs que les comtés de Rennes et de Nantes, ainsi que le Pays de Retz, font bien partie du royaume de Bretagne.
Grâce au sens de la stratégie de ses chefs, la Bretagne de Nominoë s’est donc imposée en quelques années comme un acteur politique majeur dans l’ouest de la Gaule. Mais les efforts de ce premier roi et de ses successeurs pour maintenir un royaume breton souverain et stable sont vite menacés par les divisions internes. Surtout, un nouveau péril apparaît, les Vikings scandinaves, qui commencent alors leurs raids en Europe occidentale, et notamment en Bretagne.
Au Moyen Âge, l’indépendance se conquiert aussi sur le plan religieux. Nominoë l’a bien compris et n’a de cesse, comme ses successeurs, de s’affranchir de la tutelle des Francs carolingiens en maîtrisant l’Église sur les terres qu’il contrôle. Il s’agit pour lui de détacher les évêchés bretons de l’archevêché de Tours, dont ils dépendent théoriquement.
L’histoire démarre en 845 : sur l’injonction de Conwoïon, l’abbé de Redon, Nominoë chasse plusieurs évêques de Bretagne au prétexte de simonie, c’est à dire la vente de charges ecclésiastiques pour leur profit personnel. Mais la métropole de Tours prend parti pour les évêques évincés, que le chef breton trouve par ailleurs trop inféodés à Charles Le Chauve. L’affaire est portée jusqu’au Saint-Siège. Nominoë décide alors de créer un archevêché breton, répondant directement à Rome.
Puis, à la fin de l’été 848, Nominoë se fait couronner à Dol de Bretagne, qui n’est encore que l’un des plus petits évêchés bretons, fondé en 565 par saint Samson. Portant le titre de « prince des Bretons », il se voit apposer une couronne d’or, donnée par le pape à Conwoïon lors d’une ambassade à Rome. Sept évêques assistent à la cérémonie, et Dol se voit consacrée comme métropole et centre religieux de la Bretagne.
Les successeurs de Nominoë vont ensuite s’efforcer de faire perdurer cet état de fait. Dans les années 860, le roi Salomon adresse ainsi trois lettres au pape Nicolas Ier afin que l’archevêque de Dol se voie accorder le pallium : cet ornement liturgique, une petite étole de laine blanche à croix noires, est décerné par le pape aux principaux dignitaires de l’Église. Malgré les protestations de Tours, plusieurs archevêques de Dol reçoivent le pallium, dont Festinien, Main et Laouenan aux IXe et Xe siècles.
Dol-de-Bretagne connaît de grands archevêques, comme Laouenan, qui fait rédiger une seconde vie de saint Samson. Ou encore Baudri de Bourgueil, qui reçoit le pallium du pape Pascal II en 1109 et assiste à plusieurs conciles en tant qu’archevêque de Dol. Remarquable intellectuel et poète, Baudri a par ailleurs probablement commandé la rédaction de la Chanson d’Aiquin, un des plus grands textes médiévaux bretons.
D’autres archevêques de Dol traînent une réputation moins vertueuse, comme Juthaël, au XIe siècle. L’homme est marié, et il a cédé des terres de l’Église en guise de dot pour ses filles ! Il a aussi confié des charges ecclésiastiques contre monnaie sonnante et trébuchante… Il est finalement frappé d’anathème par Léon IX lors d’un concile en 1049.
Dès le IXe siècle, les archevêques de Tours ne cessent de protester contre l’érection de Dol en métropole concurrente. En 1190, le pape Innocent III ordonne une enquête. À l’issue de celle-ci, en 1199, il finit par donner raison à Tours et supprime définitivement l’archevêché de Dol. Cette métropole, qu’Arthur de la Borderie qualifiait de « notable exemple de l’obstination bretonne » à développer des structures propres, disparait après trois siècles et demi d’existence
Cela n’empêchera guère les ducs de Bretagne de mener par la suite une politique de plus en plus indépendante du royaume de France. Quant à l’archevêché de Bretagne, il est rétabli au XIXe siècle, et est désormais situé à Rennes.