Érispoë
premier roi de Bretagne
Erispoë succède à son père Nominoë en Mars 851. Il inflige aux armées franques une défaite capitale à Beslé-Jengland et devient officiellement le premier roi de Bretagne par le traité d'Angers. Les frontières telles qu’elles sont alors définies sont celles de la Bretagne historique. Elles ne varieront pas jusqu’à la Révolution française, et elles seront reprises dans la délimitation des cinq départements bretons en 1790. La Bretagne historique consacre par ailleurs la dualité des populations, celle de langue bretonne et celle de langue romane
Erispoë, fils de Nominoë rentre dans l'histoire le 24 mai 843, lors de la bataille de Messac contre les Francs : "Erispoë mena les Bretons au combat" nous dit la Chronique de Nantes. Il suppléait alors son père qui était malade. C'est tout naturellement qu'il lui succède en mars 851, quand Nominoë décède dans une expédition contre l'armée de Charles Chauve, à Vendôme en Francie, ou à Vendel dans le pays de Fougères.
Le roi de Francie occidentale Charles le Chauve conteste la succession et tente de reconquérir la Bretagne en août 851. Le choc entre les deux armées dure trois jours sur le domaine de Jengland, quelque part à la frontière entre l’actuelle Ille-et-Vilaine et la Loire-Atlantique, près du pont de Beslé qui enjambe la Vilaine. La cavalerie bretonne est très mobile et inflige de lourdes pertes aux Francs. Le soir du deuxième jour, le roi s'enfuit. C'est la débandade dans le camp des Francs.
S’ensuite le traité d'Angers en septembre 851, qui revêt une importance considérable : il consacre Erispoë comme premier Roi de Bretagne et lui attribue le Rennais, le Nantais et le Pays de Retz, appelé dans certains textes Nova brittania. La main-mise bretonne sur les marches de Bretagne convoitées par les Francs donne au nouveau royaume une puissance économique importante avec le contrôle de l'estuaire de la Loire et des salines de Guérande et de Noirmoutier. La Bretagne devient ainsi le seul royaume de la Francia Occidentalis, issue du démembrement de l'Empire de Charlemagne, à être dirigé par un roi n'appartenant pas à la famille carolingienne.
Erispoë doit par ailleurs combattre les Vikings qui s'installent sur l'île de Bièce près de Nantes en 853. Faisant alliance avec le chef viking Cedric, il livre de rudes batailles. Une partie des envahisseurs quitte alors la Bretagne pour l'embouchure de la Seine, mais les autres se déplacent sur la Vilaine en aval de Redon et ravagent l'arrière-pays.
Pour le reste, l'influence franque reste importante. Selon le traité d’Angers, Erispoë reste en principe soumis au roi Charles le Chauve, qui est d’ailleurs le parrain de son fils Conan.
Un autre personnage prend alors de plus en plus d’importance : Salomon, le cousin d'Erispoë et le plus puissant des aristocrates bretons. Il prête également serment à Charles le Chauve, qui lui attribue le tiers du duché en 852, après la mort violente de Lambert, le comte de Nantes.
Mais l'annonce, en 856, des fiançailles de la fille d'Erispoë avec le fils de Charles le Chauve (Louis le Bègue) fait craindre à l’ambitieux Salomon de perdre ses bénéfices. Cette union mécontente aussi une partie de l'aristocratie bretonne qui voit d'un mauvais œil cet alliance avec les Francs. Salomon assassine donc son cousin Erispoë en novembre 857 et se fait couronner roi de Bretagne à sa place.
La texte qui suit est le récit de la bataille de Jengland, qui voit les soldats bretons d’Erispoë vaincre les soldats francs de Charles le Chauve. On doit ces lignes au chroniqueur allemand Réginon de Prüm, (842-915), qui a eu accès à des sources d'origine bretonne.
« Les troupes saxonnes [prêtées à Charles le Chauve par Louis le Germanique], que le roi avait soudoyées pour soutenir les attaques rapides et les retours à l’improviste de la cavalerie bretonne, sont placées en première ligne. Mais dès la première charge des Bretons et dès leur première volée de javelots, les Saxons vont se cacher derrière les autres troupes.
Les Bretons, selon leur coutume et montant des chevaux dressés à ce genre de combat, courent de côté et d’autre. Tantôt ils donnent impé- tueusement, avec toutes leurs forces, dans la masse serrée des bataillons francs et les criblent de leurs javelots, tantôt ils font mine de fuir, et les ennemis lancés à leur poursuite n’en reçoivent pas moins leurs traits en pleine poitrine.
Accoutumés à combattre de près, lance contre lance, les Francs restent immobiles, frappés d’étonnement, effrayés de ce nouveau péril qui leur était inconnu ; ils ne sont point équipés pour poursuivre ces troupes légères, et s’ils les attendent rangés en ligne serrée, ils n’ont contre leurs coups aucun abri.
La nuit vient interrompre les combats. Nombreux sont les Francs tués, plus nombreux encore ceux qui sont blessés ; quant aux chevaux, ils ont péri en masse.
Le lendemain, la bataille reprend et s’achève sur une infortune plus grande. Ce que réalisant, Charles, écrasé par une immense terreur, s’enfuit la nuit suivante à l’insu de son armée, abandonnant derrière lui son pavillon, ses tentes et tous les insignes royaux.
Au matin, lorsque l’armée réalise la fuite du roi, elle en reste ébahie et dès lors ne songe plus qu’à prendre la fuite à son tour.
Les Bretons s’élancent à grands cris et envahissent le camp des Francs tout plein de richesses et s’emparent de tout. Ils poursuivent les bataillons francs en déroute, les massacrent par le fer ou bien les font prisonniers. Ainsi enrichis des richesses des Francs et maîtres de leurs armes, les Bretons rentrent dans leurs foyers. »
Cité par J-C Cassard dans "Les Bretons de Nominoë", P.U.R. Rennes.