L’abbaye de Landévennec
15 siècles d’histoire
Fondée vers la fin du Ve siècle, l’abbaye de Saint-Guénolé, à Landévennec, est le plus ancien établissement monastique attesté en Bretagne. Son histoire est riche en rebondissements, de constructions en destructions, d’âge d’or en déclin... On y trouve aujourd’hui trois entités distinctes : les ruines de l’ancienne abbaye, qui attestent son foisonnant passé, le musée départemental et la nouvelle abbaye.
Situé sur une presqu’île au fond de la rade de Brest, le site de l’abbaye de Landévennec conserve des vestiges exceptionnels. On y trouve les traces d’implantations monastiques de diverses époques, les premières remontant à la fin du Ve siècle…
L’histoire de l’abbaye est indissociable de celle de saint Guénolé, réputé être son fondateur, vers l’an 500. Mais nous ne disposons pas de sources d’époque qui nous raconteraient qui était ce fameux « saint » breton. Nous devons par conséquent nous fier à des documents tardifs, à savoir le récit qu’en fait Gurdisten, abbé de Landévennec vers 870, près de quatre siècles après la fondation du site.
Selon Gurdisten, donc, Fragan, le père de Guénolé, et Gwenn, sa mère, auraient émigré du Pays de Galles pour s’installer en Armorique. L’éducation de leur fils aurait été confiée à un moine gallois, nommé Budoc et établi sur l’île Lavret, à l’est de l’île de Bréhat.
Devenu adulte, Guénolé aurait à son tour pris la route, avec 11 autres moines, pour fonder son propre monastère. D’abord établis sur l’ilot de Tibidy, ils auraient finalement opté pour l’actuel site de Landévennec, tout proche.
Et en effet, les fouilles archéologiques effectuées sur les ruines de l’ancienne abbaye ont permis de retrouver des traces d’une présence religieuse dès le tournant des Ve et VIe siècles, notamment un petit oratoire associé à un cimetière.
L’histoire de l’abbaye à proprement parler est mieux connue depuis 818, grâce à une lettre de Louis le Pieux, fils de Charlemagne et empereur d’Occident, venu en Bretagne combattre le roi Morvan en forêt de Priziac, dans le Morbihan. Cette lettre mentionne en effet la rencontre de Louis avec l’abbé de Landévennec, Matmonoc.
Après cette visite, l’abbé adopte la règle de saint Benoît, en lieu et place de la règle des Scots en usage dans le christianisme celtique. Ce changement se fait probablement à la demande de l’empereur, et s’inscrit dans le cadre de la politique d’influence carolingienne : en Bretagne comme ailleurs, les « rois » locaux, en révolte constante, sont en effet considérés trop remuants en cette période de déclin de l’empire.
Quant aux bâtiments, leur disposition évolue en cette période carolingienne. L’abbaye est progressivement agrandie jusqu’au IXe siècle. Une nouvelle église est édifiée. Une grande cour centrale est également aménagée, bordée sur 2 côtés par des galeries couvertes et les bâtiments monastiques. Enfin, des fortifications sont érigées pour protéger le monastère.
L’abbaye connaît alors un certain âge d’or, grâce aux revenus de ses terres et de ses vassaux. Elle devient un véritable centre culturel tout au bout de la Bretagne : on y produit et on y copie, dans le scriptorium, des quantités de livres, tels que des vies de saints (saint Guénolé, saint Pol Aurélien) et divers ouvrages religieux (homélies, hymnes). Les textes sont en latin, mais ils comportent aussi des gloses, c’est-à-dire des commentaires en marge et en bas de page, en breton.
Ces manuscrits sont aujourd’hui disséminés en France, en Suisse, à Londres et à New-York. Le fameux cartulaire de Landévennec, par exemple, est conservé à Quimper. Parmi les pièces les plus connues, le manuscrit 115, dit Harkness Gospels et daté de 890-910, est déposé quant à lui à la New York Public Library. Il évoque la vie de l’évangéliste Marc, représenté avec une tête de cheval et non une tête de lion comme c’était alors habituellement le cas : les moines ont en effet associé le nom de Marc au terme breton marc’h, qui signifie… cheval.
Mais un nouveau fléau vient bientôt troubler la paix des moines : les raids des Vikings sur les côtes. Malgré ses fortifications, l’abbaye cède aux assauts des pillards nordiques et est brûlée en 913. Les moines doivent fuir avec leurs précieux manuscrits et reliques. Ils se réfugient à Montreuil-sur-mer dans le nord de la France.
Soumis à la pression des attaques des prédateurs scandinaves, nombre de membres de l’aristocratie bretonne s’exilent outre-Manche. Parmi eux, Alain II Barbetorte, petit-fils du dernier roi de Bretagne Alain 1er, a quitté l’Armorique et s’est mis sous la protection de son parrain, le roi anglo-saxon Athelstan. Pressé par l’abbé Jean de Landévennec, il revient en Armorique pour combattre les Vikings, qu’il chasse de Nantes en 937. Il devient duc de Bretagne en 938. (Mettre lien sur fiche 938 dans la time-line).
Les moines peuvent alors revenir sur leurs terres de Landévennec, vers 936-950. Un peu moins d’un siècle plus tard, ils reconstruisent le monastère conformément aux avancées architecturales de l’époque : on passe ainsi du style carolingien au style roman. L’abbaye retrouve alors sa prospérité et ses écritures.
Les années et les siècles passent…
L’abbaye connait encore des incendies et des pillages, au fil du temps, notamment par les Anglais. Puis le monastère connait à nouveau une période de déclin, à la fin du XVIe siècle.
En 1628, elle est rattachée à la congrégation de Saint-Maur et connait un renouveau spirituel et intellectuel. Les revenus affluent grâce à l’exploitation des bois alentour, qui fournissent les matériaux nécessaires à la construction navale à l’arsenal de Brest.
Survient ensuite la Révolution de 1789. La communauté monastique est dispersée, et l’abbaye est fermée et vendue comme bien national. Elle est réduite à une carrière de pierres au début du XIXe siècle.
En 1878, une nouvelle communauté monastique s’installe à Kerbénéat près de Landerneau, mais elle doit quitter les lieux en 1903, quand les congrégations sont expulsées sur ordre d’Émile Combes, président du Conseil. Après un exil de 15 ans au Pays de Galles, les moines reviennent à leur monastère en 1922. Mais le voilà occupé par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale !
C’est enfin dans les années 1950 que les moines de Kerbénéat reprennent le flambeau à Landévennec, où il font construire une nouvelle abbaye en 1958. Cette communauté monastique s’y trouve encore aujourd’hui.
Avec l'aimable relecture de Annie Bardel, archéologue.
Le site de l’abbaye de Landévennec mérite assurément qu’on s’y attarde. On est d’emblée frappé par la beauté du lieu, qui offre un panorama incomparable à l’embouchure de l’Aulne, au fond de la rade de Brest. Mais le visiteur trouvera aussi de quoi nourrir son envie de découvertes historiques.
La riche histoire de l’abbaye est palpable lorsque l’on se promène parmi ses ruines. Sur ce site archéologique à ciel ouvert se superposent en effet les vestiges de 8 monastères de différentes périodes !
Les fouilles menées durant 25 ans, de 1978 à 2002, ont permis de mettre en valeur les restes exceptionnels de bâtiments médiévaux construits en style carolingien (IXe siècle) et roman (XIe siècle).
De l’ensemble carolingien, par exemple, on voit encore les proportions et l’allure de l’église, l’architecture du monastère et les bases des gros piliers carrés des galeries, conservées avec leur enduit.
On pourra ainsi se représenter le mode de vie des moines en marchant aux abords de leurs bâtiments d’habitation, et les imaginer déambulant le long de la galerie couverte qui entourait la cour intérieure de l’abbaye.
Tout près, la promenade se poursuit à travers un jardin potager et un jardin médicinal, qui abritent une bonne centaine de plantes différentes, que l’on destinait au Moyen Âge à la consommation et aux soins pharmaceutiques.
Les scientifiques ont en effet pu établir une liste de végétaux qui se trouvaient dans les environs du monastère à l’époque médiévale, grâce à des graines et des fruits datant des VIIe au XIIIe siècle : pêchers, vignes, aneth, etc.
Créé en 2008, le jardin se concentre sur le IXe siècle, période à laquelle les monastères connaissent aussi un âge d’or de la science médicinale.
Autre point important de la visite, le musée retrace l’histoire de l’abbaye sur près de 15 siècles, depuis les prémices de sa fondation à la fin du Ve siècle jusqu’à l’époque contemporaine. A travers cette histoire monastique, c’est celle de la Bretagne qui se déploie.
Le parcours démarre par la période mal connue de la migration des habitants de l’actuelle Grande-Bretagne vers l’Armorique, et la naissance de la petite Bretagne. Puis il explore différents thèmes tels que l’expansion de la vie monastique en Occident, le rayonnement culturel des monastères au siècle de Charlemagne, les invasions normandes, etc.
Les objets exposés, issus des fouilles archéologiques, sont nombreux : chapiteaux romans, cloche monastique, applique en ivoire, armes de diverses époques, et surtout un sarcophage en chêne du IXe siècle, unique en Europe.
Au menu également, la reconstitution d'un scriptorium, c’est-à-dire un atelier d’écriture médiéval. Sans oublier de remarquables reproductions de la production artistique de l’abbaye à son âge d’or, telles que des fac-similés de manuscrits anciens, ou les représentations de saint Marc à tête de cheval.
Enfin, une nouveauté a fait son entrée au musée en 2021 : les clichés de Julien Danielo, photographe et docteur en histoire de l’art, qui reconstitue des scènes de différentes périodes grâce à des figurants passionnés de costumes d’époque. Julien est également l’auteur talentueux des photos de la page d’accueil de notre site ISTOR !
S’il ne reste que des ruines de l’ancienne abbaye, les moines de Kerbénéat ont pris en 1950 la décision de racheter le domaine de Landévennec et d’y construire un nouveau monastère, inauguré en 1958.
Les moines y accueillent ceux qui souhaitent se mettre quelque temps à l’abri du monde dans le cadre de retraites au sein du monastère.
On peut aussi venir simplement pour la journée et assister à la messe et à tous les offices, ainsi qu’au pardon de saint Guénolé en mai. Sans oublier un passage par la librairie, qui propose de nombreux ouvrages religieux et des livres consacrés à la Bretagne, dont les œuvres poétiques de Gilles Baudry, moine à Landévennec et poète réputé.
Enfin, une bibliothèque exceptionnelle, qui compte plus de 30 000 ouvrages, 2500 périodiques et un important fond d’archives, tous consacrés à la Bretagne, est accessible sur demande, et gratuite !
Site de l'abbaye Saint-Guénolé.
L’abbaye, située entre la Cornouaille au sud et le Léon au nord, entre la presqu’île de Crozon à l’ouest et les monts d’Arrée à l’est, est au cœur du Parc naturel régional d’Armorique, riche de nombreux sites et lieux de balades.
Tout près de l’abbaye, dans les méandres de l’estuaire de l’Aulne, un cimetière de bateaux de la marine nationale semble tout droit sorti d’un film d’espionnage…
Sur la place de Landévennec on pourra pousser la porte de Breizh Odyssée, un espace culturel qui propose des expositions.
Côté est se trouve le port du Faou, connu pour ses maisons en pans de bois.
Côté ouest, Landévennec est située à l’entrée de la presqu’île de Crozon, qui recèle également quelques joyaux : la petite ville portuaire de Camaret, tout au bout, mais aussi l’oppidum de l’âge du fer de Lostmac’h sur la commune de Crozon, pour ne citer que quelques lieux emblématiques.
Et pour ceux qui auront la chance de se trouver sur zone la première semaine d’août, les amateurs de musiques métissées pourront se régaler des concerts du Festival du bout du monde, qui se tient dans un cadre exceptionnel sur la presqu’île.
Quelques concerts sont même proposés chaque année sur le site de l’abbaye.
Les livres et articles consacrés à l’abbaye
Ouvrage collectif, L'abbaye de Landévennec en l'an mille - L’âge roman, Catalogue de l’exposition « Sur des cendres fumantes, heurs et malheurs d’une abbaye bretonne en l’an mille », Musée de l’ancienne abbaye de Landévennec, Coop Breizh, Spézet, 2023.
Yves Coativy, 818-2018. Landévennec, une abbaye bénédictine en Bretagne. Actes du colloque de Landévennec des 6, 7 et 8 Juin 2018, Éditions du CRBC, Université de Bretagne Occidentale, Brest, 2020.
Herve Grall, Landévennec et la Marine, 350 ans d’histoire, Skol Vreizh, Morlaix, 2019.
Marc Simon, Saint Guénolé et l'abbaye de Landévennec, Éditions Gisserot, 1997.
Annie Bardel, « L'Abbaye Saint-Gwénolé de Landévennec », dans Archéologie médiévale, t. XXI, 1991.
Article accessible en ligne :
https://www.persee.fr/doc/arcme_0153-9337_1991_num_21_1_990
Marc Simon, o.s.b., L'Abbaye de Landévennec de saint Guénolé à nos jours, Ouest-France, 1985.
Pour en savoir plus sur le contexte
Ouvrage collectif, La Bretagne au temps des rois de Morvan à Alain le Grand (818-907). Eus Morvan da Alan Veur (818-907), Catalogue de l’exposition « La Bretagne au temps des rois », Musée de l’ancienne abbaye de Landévennec, Coop Breizh, Spézet, 2019
André Chédeville et Hubert Guillotel, La Bretagne des saints et des rois, Ve-Xe siècles, Éditions Ouest-France, 1984
Un peu de fiction
Tomaz Bernard, Le Manuscrit de Landévennec, Embann ar Vro, 2022
Louis Grall, Le nageur d’Aral, Éditions La Manufacture des livres, 2021
Les sites Internet
Site du musée de l’ancienne abbaye, par ici!
Site de la nouvelle abbaye, ici.
Le manuscrit de Harkness Gospels à la Public Library de New York.
Site de l’office de tourisme de Crozon.