Le Camp de Péran
une forteresse du Xe siècle
A Plédran dans les Côtes-d’Armor se trouve le site archéologique de Péran. S’étendant sur un hectare, il domine la Vallée de l’Urne sur un plateau à 160 mètres de hauteur. C’est un témoin rare en Bretagne de la période des raids Vikings au Xe siècle. Mais, la réalité est complexe : le site est-il vraiment un camp Viking comme on l'a longtemps dit?
Les Vikings en Armorique
Pour comprendre son histoire, il faut d’abord se rappeler que les premiers Vikings arrivent près de l’estuaire de la Loire dès le début du IXe siècle. Ils gagnent progressivement du terrain, pillent, massacrent…En 913, le monastère de Landévennec dans le Finistère est pillé et détruit. Parmi la population et les élites, les premiers sont souvent réduits en esclavage, les autres se réfugient ailleurs, fuyant la menace. Les Scandinaves restent souvent près du littoral, ce sont des guerriers et des commerçants, mais ils ne sont pas des agriculteurs en territoires conquis.
Alain Barbetorte et l’incendie
Face à la déroute, Jean abbé de Landévennec se rend en Angleterre pour faire appel à Alain (910 -952), petit-fils du roi Alain le Grand, réfugié à la cour du roi Athelstan.
Alain - connu ensuite sous le nom de Alain Barbetorte - veut récupérer ses terres et accepte de venir au secours des Bretons. Il rassemble des troupes et mène notamment une bataille décisive en 939 près de Trans (Ille-et-Vilaine). Après cette victoire c’est la fin de la présence Viking, malgré quelques soubresauts et derniers raids. Deux chroniques, celle de Saint-Brieuc, puis de Nantes, précisent qu’après la fuite des Vikings, les Bretons placèrent Alain à leur tête « et en firent leur duc ».
Le camp fortifié de Péran ayant subi un violent incendie au Xe siècle (dont témoigne un rempart vitrifié par le feu), certains ont voulu l’attribuer à Barbetorte chassant les Vikings du camp, d’autres, aux Vikings eux-mêmes. Une légende raconte également que le camp va brûler pendant sept ans…
La forteresse
Mais qu’en-t-il du lieu ? Ce camp, situé non loin de la côte, qui semble avoir été au cœur de la tourmente.
Le site se présente sous la forme d’une grande enceinte ovale. Il s’agit d’une forteresse défensive, dont on découvrira qu’elle a également été un habitat agricole.
Si le lieu a toujours intrigué, il faudra attendre le XIXe pour que plusieurs fouilles soient faites, à l’issues desquelles certains datent le camp de l’époque gauloise, d’autres de l’époque romaine, jusqu’à ce qu’une campagne de fouilles de plus grande ampleur ait lieu.
Elle se déroule de 1983 à 1990. L’un de ses premiers constats est que la forteresse présente sur le site est datée du Xe siècle, de l’époque carolingienne. Elle comprend notamment des fossés et un rempart de pierres à ossature de bois. Le fait qu’elle domine la Vallée de l’Urne signifie qu’elle devait être placée là par les Bretons pour contrôler les voies de communication.
A l’intérieur se trouvent plusieurs constructions en pierre et/ou en bois, dont une écurie, des greniers à céréales, un silo, un puits, ainsi que divers objets du quotidien : peigne à carder, instruments agricoles, haches de fer, boucles, vaisselle en céramique, en fer, deux chaudrons à anses…Les archéologues s’interrogent alors car un chaudron très similaire a été découvert dans une tombe Viking sur l’île de Groix, mais il est difficile d’établir s’il s’agit réellement d’un chaudron d’origine scandinave.
Les chercheurs mettent aussi au jour des armes (lances, pointes d’épées, bouclier…), et…une pièce d’argent, trouvée entre les joints d’argile d’un mur. Il s’agit d’un denier gravé par les Vikings entre 905 et 925 dans la ville d’York, capitale du royaume Viking du Danelaw.
Il est évidemment difficile de dire avec certitude comment elle s’est retrouvée là. Les conclusions du rapport de fouilles de l’époque indiquent qu’il y a eu présence sur le site « d’hommes et de femmes ayant une affinité avec les scandinaves » (…) « pour une durée indéterminée, probablement assez courte ».
Que conclure ?
Récapitulons : le camp de Péran est donc une forteresse bretonne et non Viking. Ces derniers y seraient peut-être passés ou l’aurait peut-être occupée brièvement, mais c’est de plus en plus loin d’être certain.
Aujourd’hui, vingt ans après les fouilles de 1990, on considère que les artefacts retrouvés sur le site sont d’origine locale, à l’exception du fameux denier d’York, et de la présence… d’une céréale, l’avoine sableuse. Les archéologues en ont trouvé à Péran ainsi que sur deux autres sites et, selon les botanistes qui l’ont étudiée, elle est originaire de la Frise orientale, aux Pays-Bas et en Scandinavie. Est-ce un autre indice ? Mais, les Vikings n’étant pas agriculteurs quand ils sont en territoire conquis, comment s’est-elle retrouvée là ? La réponse n’est pas encore complètement donnée, et il vaut mieux être prudent en matière d’interprétations.
Le site mériterait une nouvelle campagne de fouilles, à la fois pour approfondir et compléter les résultats avec les méthodes et outils de l’archéologie actuelle, mais également à des fins de préservation.
En 2022, une convention de trois ans a été signée entre la municipalité, et l’agglomération de Saint-Brieuc pour permettre à un jeune archéologue qui effectue une recherche doctorale, de poursuivre son travail notamment sur le site du camp. Espérons que le résultat de ses recherches permette d’en apprendre encore un peu plus et encourage à une véritable valorisation du site.
Le camp de Péran
Le site du camp a été laissé à l’abandon jusqu’en 2017, puis débroussaillé et confié à l’équipe de la médiathèque de Plédran qui s’occupe de son entretien. Il est dans la nature mais trois panneaux explicatifs donnent un certain nombre de repères.
Sur place ce ne sont que vestiges de pierre et talus herbeux, mais en s’y promenant on peut comprendre beaucoup sur l’occupation et l’organisation du camp. Sur le choix de son emplacement également : une forteresse dominant une vallée afin de voir venir les envahisseurs potentiels. Les quelques 500 objets qui ont été mis au jour sont au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc, pour partie dans les réserves.
La ville de Saint-Brieuc justement est à 9 kilomètres au Nord de Plédran et possède un riche patrimoine architectural : vous pouvez par exemple visiter la cathédrale Saint-Etienne, fortifiée, située dans le vieux Saint-Brieuc, un quartier médiéval aux maisons à pans de bois.
A visiter aussi, le musée d’Art et d’Histoire qui rend hommage aux pêches lointaines et aux activités maritimes, ainsi qu’au travail agricole du lin et du chanvre. Au second étage, vous trouverez une collection qui interroge l’image de la Bretagne par celles et ceux qui l’ont dessiné (photographes, peintres, ethnographes…).
La maison Saint-Yves, quant à elle, est située sur les hauteurs de la vallée du Gouédic. C’est un ancien Grand Séminaire qui s’étend sur 6000 m2 ! Il a hébergé pendant 40 ans des séminaristes avant de devenir aujourd’hui une maison diocésaine. Sa chapelle est une merveille de style Art déco ornée de superbes mosaïques et de fresques. C’est un très beau bâtiment qui possède également un cloître et un jardin.
Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc : le site.
Office de Tourisme des Côtes d’Armor, page dédiée à la Maison Saint-Yves.
Téléphone de la Maison Saint-Yves : 02 96 68 13 40
Les livres et articles
Benjamin Brillau, Calie Brillau, Les Vikings, Éditions Tallandier, 2023.
Pierre Bauduin, Histoire des Vikings : Des invasions à la diaspora, Éditions Tallandier, 2019.
Vincent Carpentier, « L’immigration scandinave sur le continent au Xe siècle : un invisible archéologique ? », dans Dominique Garcia et al., Archéologie des migrations, Éditions La Découverte, Recherches/INRAP, pp. 255-266, 2017.
Article accessible en ligne :
http://le-temple-de-freyja.e-monsite.com/medias/files/dec-garci-2017-01-0255.pdf
Joël Cornette, « Chapitre 13. Fléau de Dieu : l’ère viking (IXe-Xe siècle) », dans Histoire de la Bretagne et des Bretons (Tome 1). Des âges obscurs au règne de Louis XIV, sous la direction de CORNETTE Joël, p. 216-227, Éditions Le Seuil, L'Univers historique, 2005.
Régis Boyer, « On ne sait rien d’eux », dans Les Vikings. Sous la direction de Régis Boyer. pp. 23-25, Éditions Le Cavalier Bleu, Idées reçues, 2002.
Jean-Christophe Cassard, Le siècle des Vikings en Bretagne, Éditions Glisserot, 1996.
Nicolardot Jean-Pierre, Guigon Philippe. « Une forteresse du Xe siècle : le Camp de Péran à Plédran (Côtes d'Armor) », dans Revue archéologique de l'Ouest, tome 8, pp. 123 -157, 1991.
Article accessible en ligne :
https://www.persee.fr/doc/rao_0767-709x_1991_num_8_1_1141
Site internet
Ville de Plédran, page dédiée au site.